B.G
Le 06-09-2013
B.G, le 06-09-2013
La Bataille de Solferino, un film qui réussit l'étonnante performance d'avoir su conjuguer avec un brio époustouflant l'histoire intime d'un microcosme familial perturbé et le macrocosme national pris dans un moment de fulgurance incroyable où la foule se presse dans l'attente de la décision qui va modifier (?) l'avenir de tous.
C'est survolté, on en a plein les mirettes, c'est précis, très bien écrit et pourtant ça a l'air improvisé, ça s'enchaîne à une vitesse folle, ça vous bouscule, ça vous emporte, ça décape… C'est une plongée dans l'air du temps, qui nous concerne et ne fait de cadeau à personne mais, même ironique et mordante, garde une forme de bienveillance qui n'écrase aucun des personnages : tout insupportables que peuvent sembler certains, il y a toujours ce petit goût de tolérance qui laisse entrevoir que toutes les évolutions sont encore possibles. La situation est grave, comme dit l'autre, mais finalement peut-être pas si désespérée… Les gamins du film ont leur part dans la réussite de l'ambiance, emportés dans le tourbillon d'événements qui les énerve, les fait brailler, ils sont l'annonce de développements futurs, craquants, émouvants, justes.
Laetitia s'agite dans son petit bocal parisien, un appartement minuscule où règne le plus grand désordre, tandis qu'elle explique à son nouveau baby-sitter, un jeunot complètement dépassé, comment s'y prendre avec les deux gamines : il doit avant tout, dit-elle, se barricader et ne laisser entrer sous aucun prétexte leur père dont elle est séparée et qui veut justement aujourd'hui profiter de son droit de visite qu'il a zappé la veille… Laetitia stresse, s'agite, se maquille, hésite sur la tenue à adopter, court d'une gamine à l'autre, se répète : journaliste, elle doit assurer en direct, pour une chaîne d'info permanente, la couverture des résultats des élections. Le remue-ménage des uns attise l'angoisse des autres et il y a quelque chose de vertigineux et d'hilarant dans cette première scène de la vie quotidienne, qui dure le temps qu'un motard vienne enlever la journaliste et l'emporter à travers Paris vers la foule qui espère, confortée par son nombre qui ne cesse de croître. Seul Antoine, le nouveau compagnon de Laetitia, s'obstine dans un état de nonchalance chronique qui contraste furieusement avec l'ambiance générale…
Le film va dès lors opérer un va-et-vient constant, du petit appartement à la rue de Solferino, tandis que Laetitia, immergée dans la foule qui attend devant le siège du PS, assure un direct tous les quart d'heures, professionnelle, souriante et imperturbable, tout en restant constamment sur le qui-vive, via son portable, de peur que son ex s'incruste de force chez elle… Les choses vont se compliquer quand, folle d'inquiétude, il lui viendra l'idée idiote d'ordonner au baby-sitter de lui amener les gamines sur son lieu de reportage. Les voilà prises dans la foule, poursuivies par le père qui s'obstine, soutenu par un jeune pseudo avocat, un rien décalé, qui tente de jouer les médiateurs… les événements prennent une tournure complètement délirante…
Justine Triet parvient à trouver le bon ton, le bon dosage et construit une histoire – dans laquelle beaucoup de couples qui partent en brioche se reconnaîtront – parfaitement drôle, mais qui n'occulte rien des difficultés relationnelles, de la position des enfants, de l'influence de l'Histoire sur nos vies… jusqu'à ce que l'orage passe et que l'épuisement ait raison des antagonismes… pour un temps au moins. Les images de foule sont tout simplement exceptionnelles, captées par sept caméras différentes, placées autour du siège du PS mais aussi dans le coin de celui de l'UMP, les interventions réelles de militants se croisant avec celles des comédiens… au point qu'on ne sait plus parfois faire la part du réel et de l'imaginé : le film fond la politique dans la réalité quotidienne et la réalité quotidienne dans la politique. Un superbe moment de cinéma qui n'a pas fini de vous faire causer…