B.G
Le 20-09-2013
B.G, le 20-09-2013
Bien plus que les vrais héros, rien de plus drôle et de plus romanesque que les authentiques losers, ceux dont la vie n'est qu'une succession tragicomique de foirages insensés, de ratages grandioses, d'impasses empruntées avec détermination, d'accidents improbables. Les losers étaient déjà les moteurs du cinéma burlesque, Chaplin autant que Keaton, dans des genres différents, faisaient (et font toujours) rire par leurs ratés, et portent en eux une poésie tragique teintée de mélancolie. Galaad et Noé, malgré leurs prénoms qui fleurent bon la mythologie héroïque, sont bien d'irréductibles losers. Ces demi-frères habitent en Lorraine – ce qui n'incite déjà guère à la flamboyance, sans faire injure à mon collègue messin Christophe – et leur vie est aussi terne et déprimante que l'horizon post-industriel qui les entoure. Même si les deux lascars sont très différents et se fréquentent peu, ils n'en partagent pas moins une poisse conséquente.
Galaad (Denis Podalydès) est, à un âge avancé, un acteur local de pièces classiques qui n'a jamais réellement percé, et dont la déprime rejaillit sur le jeu… Si bien que les metteurs en scène ne lui trouvent plus assez d'allant, d'énergie, et que sa carrière s'enlise inexorablement. En outre ses aventures avec des comédiennes plus jeunes tournent inévitablement au fiasco tandis que sa santé semble se dégrader. Quant à Noé (Mathieu Demy), il est entraineur de l'équipe de foot locale. Une équipe au bord de l'implosion face aux exigences extravagantes de son coach, à son refus absolu du compromis, à son ambition assez délirante – et hilarante – d'inculquer aux joueurs une conscience politique : séquence désopilante où, lors d'un match décisif, il demande à ses footeux de penser aux ouvriers au chômage avant d'entrer sur le terrain. Obnubilé par ses stratégies footballistiques, il réussit même à snober sa jolie voisine amoureuse…
Et ces deux bras cassés de la vie vont se retrouver réunis par la mort de leur père, archéologue et aventurier (ils arriveront d'ailleurs en retard à l'enterrement suite à une panne de voiture) et par la conviction rocambolesque que leurs malheurs sont dus à une malédiction depuis que leur paternel a subtilisé le Saint-Graal dans une grotte de la montagne basque où la relique reposait depuis des siècles. Ils vont donc se donner la mission de récupérer l'objet pour le remettre à sa juste place, après un long périple au cœur des vallées et hauteurs pyrénéennes. Cette histoire a d'ailleurs été inspirée au réalisateur par un épisode de sa vie quand, ayant commis l'erreur de prendre des photos dans un temple bouddhiste au Tibet, il fut maudit par un lama…
Les fâcheux trouveront le scénario farfelu voire abracadabrantesque et on ne saurait totalement les contredire : il y a une grande part de joyeux n'importe quoi dans l'épopée de ces deux pieds nickelés en terre de Navarre. Mais on s'en fout, tant l'ensemble est entrainant et généreux. Et puis Les Conquérants, c'est avant tout deux acteurs épatants au service d'une belle histoire d'affection fraternelle en sommeil dont l'aventureuse reconstruction se développe au fur et à mesure que les deux hommes crapahutent vers l'improbable dans les vallées de fougères et les prairies d'altitude peuplées de chevaux sauvages, voire d'ours ! Le réalisateur basque profite bien sûr des paysages surréels de sa région natale et de ses habitants atypiques pour insuffler à son récit une poésie picaresque qui fait chaud au cœur.