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Si vous avez aimé Séraphine déjà réalisé par Martin Provost, vous vous passionnerez pour Violette, qui est comme une sœur de la première : la peinture pour l'une, l'écriture pour l'autre auront été leur force et leur arme pour accéder à une forme de libération. Écrire pour ne pas mourir, pour se libérer de la souffrance de ne pas s'aimer, pour échapper à la folie, pour parvenir à trouver un statut qui lui permette de vivre avec les autres : il y a dans l'œuvre de Violette Leduc quelque chose qui ressemble à l'énergie du désespoir, une vitalité salvatrice qui en fait un personnage d'exception. Signalons au passage que les éditions Gallimard rééditent plusieurs ouvrages de Violette Leduc, dont La Bâtarde, et ce n'est pas la moindre des qualités du film que de donner envie d'aller y voir de plus près.
Violette Leduc est donc née en 1907, rejeton bâtard et inavoué d'un milieu bourgeois qui la rejette. Elle grandit douloureusement, ne s'aime pas, écrit et lit beaucoup, et même entourée reste profondément solitaire. Le jour où elle tombe sur L'invitée de Simone de Beauvoir (« être une femme et écrire un si gros livre… » s'étonne-t-elle), elle n'a de cesse de rencontrer celle qu'elle admire désormais plus que tout au monde pour lui montrer son premier manuscrit.
C'est fatalement au Café de Flore, où Simone aime à écrire, que Violette arrive à l'approcher. Une rencontre un peu maladroite, un peu coincée, mais qui va être le point de départ d'une forme d'amitié qui durera toute leur vie : Simone de Beauvoir, dès les premières pages, voit en Violette un écrivain de grand talent et comprend aussitôt la fonction libératrice que peut jouer l'écrit pour cette femme en souffrance. Elle ne cessera de l'encourager et de la soutenir, lui présentant un éditeur, lui faisant rencontrer des auteurs, et elle écrira l'introduction de La Bâtarde, le premier succès de librairie de Violette Leduc qui la fera connaître au grand public. De Beauvoir ne sera pas la seule aux côtés de Violette : Camus, Cocteau, Genet exprimeront leur admiration. Genet (formidable Jacques Bonnaffé) plus que tout autre se lie d'amitié pour cette femme pas facile à aborder : bâtard lui-même, en marge comme elle, sans doute voit-il en Violette comme une sorte de double féminin (il lui a d'ailleurs dédicacé Les Bonnes).
Outre que certains la considèrent comme une emmerdeuse envahissante (c'est une « attachiante » résume Emmanuelle Devos), l'écrivaine Violette Leduc ne fait pas consensus à son époque et peine à élargir son lectorat. C'est qu'elle parle sexualité, avortement, amour, homosexualité… avec une liberté d'écriture trop intime, trop crue, qui en dérange plus d'un et plus d'une, elle exaspère la critique, ne cherche pas à se montrer aimable, ne fait aucune concession. Pourtant, pas une seconde De Beauvoir ne la lâchera, alors qu'elle-même est préoccupée par ses relations avec Sartre, par ses amours lointaines, ses engagements… Elle trouve le temps de l'entendre, de la lire, corrigeant ses textes, la reprenant, la conseillant, parfois agacée par son caractère passionnel, excessif, ses déclarations d'amour intempestives…
Si Violette Leduc est le sujet et le centre du film, on découvre une Simone de Beauvoir (Sandrine Kiberlain l'incarne magnifiquement) discrète et solitaire malgré ses amours, ses amis, ses mondanités, une femme à l'écoute sincère des autres, des femmes en particulier, et préoccupée de leur tendre la patte pour les aider à s'affranchir.
Martin Provost prend sans doute certaines libertés avec la réalité, mais s'il ne cherche pas l'exactitude historique du détail, l'essence, la force vitale du personnage sont bien là et Emmanuelle Devos est comme d'habitude impeccable.