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Canines
Dans Les HABITANTS, Van Warmerdam décortiquait les travers de la communauté claustrophobe d'un petit village de polder où les façades austères cachaient bien des secrets tout à fait inavouables : un boucher érotomane marié à une mystique maladive, un facteur indiscret qui ne pouvait s'empêcher de lire les lettres au point d'en mourir… tout un petit monde qui explosait à l'arrivée de pères blancs et de leur accompagnateur venu des lointaines forêts d'Afrique. Van Warmerdam montrait dès ses débuts son talent de metteur en scène au service d'un récit surréaliste à la lisière du fantastique, le fantastique étant par essence l'art de glisser l'improbable, l'inquiétant, au cœur d'une situation tout à fait crédible.
Tout comme dans LES HABITANTS, on retrouve dans BORGMAN les mêmes obsessions, les mêmes thématiques récurrentes. Si le scénario est radicalement différent, Warmerdam raconte à peu près les mêmes choses pas jolies-jolies sur sa société si libre, si lisse. Borgman est le nom du personnage principal. Un être au physique christique, barbu et hirsute, qui semble vivre avec quelques comparses au cœur des bois, dans un monde souterrain, tels des lapins traqués qui trouvent refuge au cœur de leurs terriers. Un jour Borgman s'habille élégamment, sort de sa forêt, s'approche d'une de ces maisons contemporaines tout en baies vitrées que les cadres supérieurs se font construire dans les zones champêtres… et sonne à la porte pour demander à prendre un bain. Évidemment le propriétaire refuse. Mais Borgman revient, trouve un moyen de s'introduire dans les lieux et s'installe confortablement dans la baignoire. L'épouse du susdit propriétaire le surprend mais, au lieu de crier et d'appeler la police, elle demande gentiment à Borgman de partir ou de se cacher… Elle semble le connaître. Quelles sont leurs relations ? Et la situation va devenir de plus en plus étrange… Le jardinier est frappé par un jet de sarbacane venu de derrière les fourrés et un ami de Borgman se présente pour le remplacer…
Thriller flippant en même temps que fable philosophique et sociale, Borgman met en pleine lumière l'envers du décor de la société policée néerlandaise, la part d'ombre qui se tapit dans chaque mère ou père de famille respectable et qu'un événement extérieur peut faire surgir à tout instant. On peut voir Borgman comme l'ange de la mort, on peut reconnaître en lui et ses compagnons les prophètes de la revanche de la nature et de l'animalité, mais aussi de l'enfance (les enfants, tout comme les dobermans de la famille, jouent un rôle non négligeable) sur le monde organisé et répressif de la société des bonnes gens… Bref le film vous donne de quoi frémir et de quoi penser, de quoi vous étonner et de quoi vous creuser les méninges, de quoi vous faire rire (jaune) aussi… Que demande le peuple cinéphile un peu curieux de singularité et d'étrangeté ?