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Ces garçons venus de l'Est...
Les Eastern boys du titre sont ces garçons venus de l'Est , Polonais, Russes, Ukrainiens… Les plus âgés ont peut-être 25 ans. Les plus jeunes, on ne sait pas. Ils traînent du côté de la gare du Nord. On peut penser qu'ils se prostituent, certains en tout cas. Muller, un homme discret, la cinquantaine, a repéré l'un d'entre eux, Marek. Alors, un jour, il se lance et va lui parler. Le jeune homme accepte qu'ils se revoient le lendemain, chez Muller. Ce qui devait être un moment de plaisir tarifé se transforme en cauchemar. Des événements qui n'empêcheront finalement pas à Muller et à Marek de se lier et d'entamer une relation… disons… particulière.
Réalisateur des Revenants il y a près de dix ans (film qui a plus tard donné naissance à la fameuse série télévisée), Robin Campillo est jusqu'ici essentiellement connu comme collaborateur de Laurent Cantet (monteur et co-scénariste de L'Emploi du temps, Vers le sud et Entre les murs). Son film intrigue par la multiplicité des sujets qu'il décide d'aborder. On s'attend à une histoire d'amour entre en un homo cinquantenaire bien sous tout rapport et un prostitué étranger levé à la gare du Nord… et le film nous entraîne plutôt dans une sorte de polar angoissant où la tension constante de l'intrigue ne dissipe pas les enjeux socio-politiques abordés. La misère affective du quinqua urbain côtoie alors l'errance et la pauvreté des immigrés économiques. Campillo donne à voir des existences rangées (tranquilles pavillons de banlieue dans son précédent film, appartement relativement chic ici) perturbées par des invités qu'on n'attendait pas (morts-vivants ou immigrés clandestins, même combat)
Ce film mélange les genres avec un naturel confondant, débutant façon documentaire placé en vigie Gare du Nord, glissant au home invasion (séquence gonflée et assez hallucinante) puis à la romance improbable et au thriller en Hôtel Ibis. Si cette dernière partie est peut-être un peu plus difficile, les autres parviennent à déjouer les attentes avec finesse tout en n'oubliant jamais de faire du cinéma. Le réalisateur filme avec une justesse touchante les moments d'intimité entre les deux hommes. Le jeu sobre et énigmatique d’Olivier Rabourdin offre une belle répartie à celui du jeune Kirill Emelyanov, touchant de sincérité dans son rôle d’adolescent en transit entre deux mondes. Loin d’être passionnelle ou empathique, cette histoire d’amour à quatre temps montre que les inégalités peuvent parfois s’estomper au profit de la simple humanité, avec ses atouts et ses faiblesses. Un angle de vue, somme toute, plutôt audacieux et rarement vu à l’écran.
Et il y a dans Eastern boys ce cheminement assez passionnant où l'on atteint une certaine morale par des voies que beaucoup jugeront parfaitement immorales. Comment fait-on alors pour survivre dans une Europe qui ne se préoccupe de moins en moins des individus et gère de manière tellement froide les flux humains ? Eastern boys, par la lucarne du désir toujours vivant de l'homme vieillissant pour le corps lisse adolescent, nous plonge dans la réalité de la précarité des classes pauvres de l'Europe abandonnée, de ces hommes (qui pourraient être des femmes) qui ne trouvent de moyens de survie qu'en volant le plus riche. Dans une époque où les représentations des « peuples de l'Est » sont des plus négatives et stigmatisantes, ce film reste donc un pari risqué car, s'il présente avec une vraie justesse et une émotion évidente la construction d'un rapport amoureux complexe, il se pourrait aussi qu'il nourrisse – même si ce n'est évidemment pas le but de Robin Campillo – un certain nombre de stéréotypes drôlement utiles dans notre pays pour justifier des politiques répressives et racistes. Pari risqué, film dérangeant donc assez passionnant…