3.5 | 3 | 4.25 |
Arbor est un gamin branché sur 220 volts, un écolier incontrôlable, qui envoie balader ses profs, qui n'a aucune crainte d'aucune autorité, ni de sa mère qui s'en sort comme elle peut, ni des policiers qu'il ridiculise (magnifique scène où, venus faire une perquisition, les représentants de l'ordre sont sommés par Arbor de se déchausser avant d'entrer), capable de piquer sans prévenir des crises de nerfs destructrices. Son seul soutien est son copain Swifty, un nounours taciturne, doux, pacifique mais influençable, qui voit en Arbor et ses projets fous une bouffée d'air pur dans sa vie monotone aux côtés de sa mère dépressive. Et à Bradford, une des ces villes du Nord de l'Angleterre dévastées par la crise et la désindustrialisation des années Thatcher, il n'y a pas grand chose à faire… Swifty n'a sans doute qu'un talent mais il est précieux : il sait parler aux chevaux qui lui tendent volontiers l'oreille et qui semblent nombreux à vaquer dans les prés aux abords de la ville. Contraste étonnant entre la cité grise de son passé industriel et la campagne verdoyante, mais souvent plombée par la brume…
Pour améliorer l'ordinaire, les deux garçons ont trouvé une activité qui s'avère lucrative depuis la hausse du cuivre et des métaux en général : ils écument les environs pour ramasser la ferraille. Et quand ils n'en trouvent pas assez, ils franchissent sans trop hésiter (surtout Arbour) les frontières de la légalité et volent des câbles sur les chantiers, ou bien aux abords des voies ferrées ou des installations électriques. Et là ça peut devenir dangereux… Cette occupation va se transformer en boulot presque à plein temps quand les garçons vont se mettre en affaires avec Kitten, patron d'une casse gigantesque, et organisateur de courses de chevaux. Kitten est fascinant, en tout cas pour des mômes, il est inquiétant, il est violent. C'est lui le géant égoïste du titre.
La force et la beauté du film tiennent en grande partie à la mise en scène particulièrement inspirée de Clio Barnard – c'est son premier long métrage, chapeau bas ! – qui donne une dimension extraordinaire à ce monde étrange, entre casses, paysages post-industriels désolés (les enfants jouent au pied de cheminées de centrales thermiques abandonnées), et nature sauvage qui reprend ses droits sur la civilisation : scènes étonnantes de courses de chevaux clandestines, organisées sur des autoroutes temporairement bloquées par des complices de Kitten…
Mais Le Géant égoïste est porté avant tout par l'incroyable présence de ses deux jeunes acteurs principaux, dont les personnages auraient pu être imaginés par Dickens, et qui nous bouleversent par leur énergie à rendre leur monde meilleur, par leur volonté irréductible de mordre dans la vie à belles dents, par leur indéfectible amitié qui est leur seul rempart contre un destin qui ressemble trop à une fatalité.