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C'est une fiction qui paraît être filmée comme un reportage, dont l'un des personnages est la caméra d'une équipe de télévision chargée de « couvrir » une manifestation du M20 au Maroc. Le Mouvement du 20 février (2011), « journée de la dignité », a pris son nom de la date du début de plusieurs mois de protestations politiques, d'appels à des réformes constitutionnelles, sans précédents dans le pays et lancées sur les réseaux sociaux. Ce jour-là, le journaliste peine à rendre compte des revendications sociales et décide de suivre un homme au comportement étrange et aux paroles apparemment incohérentes, totalement hors contexte. S'il est complètement perdu et sans repères dans un Maroc moderne et en plein Printemps Arabe, c'est que Majhoul est tout récemment sorti de prison, trente ans après une rafle, lors des émeutes de la faim de 1981. Il accepte de se laisser filmer à condition qu'on l'aide à retrouver sa famille. Il entraîne l'équipe dans une traversée chaotique de Casablanca, au cœur d’une société marocaine en ébullition, à la recherche des témoins de son passé.
La caméra est dans le mouvement, à hauteur d'homme. Elle court, s'immobilise, tarde à faire le point, fait un bond en arrière, tombe en panne, danse et même se balance, tête en bas… Urgence, soif de liberté, espoir, colère, joies et déceptions, la quête de Majhoul est en résonance avec les actualités marocaines de ces trois dernières années. Mais ce n'est pas tant le téléscopage des révoltes du passé avec celles en cours que l'oubli des moments tragiques de son histoire par la société marocaine, la nécessité de rompre sa complicité avec un système étatique prédateur et corrompu, qui donnent au film un sentiment d'urgence. Conforté par l'étouffement du M20 dans un processus de normalisation, par la fermeture des accès à certains blogs et au site web d'information indépendant Lakome, avec emprisonnement de l'un de ses journalistes, à l'automne dernier.
Hicham Lasri a choisi de tourner C’est eux les chiens avec une équipe réduite, en quelques semaines, dans les rues de Casablanca, sans prévenir les passants. Il revendique l'ambiguïté, en vérité très travaillée – l'écriture lui a pris plus d'un an – entre fiction et documentaire. La production, prise en charge par la société du réalisateur Nabil Ayouch, s'est volontairement faite hors institutions de soutien, « pour n'être sous la tutelle de personne ».