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Plaisir du cinéma, plaisir du théâtre, amour immodéré pour le jeu de (avec) ses comédiens… Après Smoking / No Smoking (1993) et Cœurs(2006), le réalisateur adaptait pour la troisième et dernière fois au cinéma une pièce de l'anglais Alan Ayckbourn. Ce faisant il s'est amusé à nouveau comme un fou avec sa boîte à outils d'artisan génial du cinéma, mettant un joyeux bazar dans la conduite du récit, se jouant des codes réalistes de la représentation au fil d’une mise en scène à la théâtralité assumée et pourtant d'une fluidité, d'une élégance purement cinématographiques… Truffé d’humour et gaillardement vaudevillesque, Aimer, boire et chanter questionne la complexité, la versatilité des sentiments amoureux entre les membres d’un groupe d’amis dont l’un est condamné à mourir bientôt.
Dans la campagne anglaise du Yorkshire, la vie de trois couples est bouleversée pendant quelques mois, du printemps à l’automne, par le comportement énigmatique de leur ami George Riley. Lorsque le médecin Colin (Hippolyte Girardot) révèle par mégarde à sa femme Kathryn (Sabine Azéma) que les jours de son patient George Riley sont sans doute comptés, il ignore que celui-ci a été le premier amour de Kathryn. Les deux époux répètent une pièce de théâtre au sein d'une troupe amateur locale, qui va bientôt accueillir George en son sein, chacun étant persuadé que la pratique théâtrale offrira un dérivatif bienvenu à leur ami condamné… Cela va permettre à George de jouer les amoureux éperdus auprès de Tamara (Caroline Silhol), qu'il a semble-t-il étroitement fréquentée dans leur jeune âge, et qui est actuellement la femme de son meilleur ami Jack (Michel Vuillermoz), riche homme d’affaires… et mari infidèle. Jack, dépité, tente de persuader Monica (Sandrine Kiberlain), l’épouse de George qui s’est séparée de lui pour vivre avec le fermier Simeon (André Dussolier), de revenir auprès de son mari légitime pour l’accompagner durant ses derniers mois. Au grand désarroi des hommes dont elles partagent la vie, George exerce une étrange séduction sur les trois femmes : Monica, Tamara et Kathryn. Et il apparaît qu'il a promis à chacune d'entre elles de l'emmener en vacances à Ténérife… Avec laquelle George Riley partira-t-il en voyage ? That is the question, comme dirait un autre dramaturge britannique…
Alors que Georges est la figure centrale du film, l'unique objet de leurs sentiments et ressentiments, on ne le verra jamais à l'écran. Figure imaginaire pour le spectateur, il prend vie à travers l'évocation qu'en font les protagonistes, et les interférences qu’il crée dans leurs relations – à l’instar de la proposition du voyage à Tenerife qui suscite bien des jalousies… Derrière les enjeux du texte et des situations, c’est bien l’approche formelle du réalisateur qui passionne, même si dans un premier temps elle désarçonne. Comme dans Smoking / No smoking, Alain Resnais emploie des décors et des éclairages qui appartiennent à l'univers du théâtre, qui mettent à distance toute tentation de réalisme, mais qui en même collent à la perfection à la vérité, ou plutôt aux vérités des personnages. Tout l'art de Resnais est bien de nous faire évoluer, de nous laisser respirer dans cet entre-deux, ce théâtre cinématographique qu'il anime à la perfection et au cœur duquel on se laisse emporter joyeusement.
Il va sans dire – mais ça va mieux en le disant – que la troupe de comédiens réunis par Resnais interprète avec une virtuosité de chaque instant la partition millimétrée du maestro. L’intensité et la distance combinées de leur jeu participent activement du plaisir (on y revient) dispensé par ce film qui ne ressemble à aucun autre… sauf à un autre film de Resnais !