Chienne de vie
Il était une fois, il y a peu, dans un pays pas très éloigné où une partie non négligeable de la population vivait dans une très grande pauvreté, un garçon qui naquit au cœur de l'hiver. Un garçon qui riait tellement malgré le froid, qui sembla si robuste à ses parents qu'ils décidèrent de l'appeler Spartacus. Quelques années plus tard, Spartacus vit arriver une petite sœur, qu'on baptisa – le conte ne dit pas pourquoi – Cassandra. Le conte ne précise pas non plus le pourquoi ni le comment, mais la famille de Cassandra et Spartacus devait avoir bien du mal à joindre les deux bouts dans la banlieue de Bucarest – et le pain venant plus d'une fois à manquer, ils firent leur valise et partirent tenter leur chance un peu plus à l'ouest.
À ce stade du conte, on l'aura remarqué : aucune bonne fée ne s'est penchée sur le berceau des chérubins, aucune paire de bottes de sept lieues n'a permis de franchir joyeusement les frontières… En fait, l'histoire commence vraiment dans une autre banlieue, une décennie plus tard. Spartacus et Cassandra ont voyagé, ont grandi. Ils vivent tant bien que mal avec leurs parents dans un bidonville de Saint Denis, aux portes de Paris, où le cirque Raj'Ganawak a planté son chapiteau et où Camille, une jeune trapéziste, a pris les deux gamins sous son aile. Mendicité, larcins, descentes de police, comparutions, démerde à tous les étages, alcoolisme du père, lente descente aux enfers pour la mère : leur chemin de vie semble bien tracé et sans issue mais il prend pourtant un tour inattendu. Il y aurait une alternative. Une bifurcation.
Il serait possible que Spartacus et Cassandra ne vivent plus dans la rue. Il serait possible que Cassandra et Spartacus, sur le territoire français, puissent se stabiliser – c'est le marché que va leur proposer la justice : qu'ils parviennent à abandonner leurs parents, qu'ils se scolarisent, qu'éventuellement ils acceptent le principe d'une famille d'accueil. C'est précisément ce que va raconter le film : cette histoire d'enfants à qui on demande de prendre des décisions d'adultes, qui vont être mis en demeure de quitter leur enfance – mais que l'intervention d'une bonne fée va aider à vivre de belles échappées libres et poétiques, purement enfantines.
Parce que c'est Spartacus et parce que c'est Cassandra, parce que tout passe par leur regard, parce que tout est toujours filmé à leur hauteur, parce qu'il y a leurs peurs, parce qu'il y a leurs rires, leur humour et leur vitalité, ce qui devrait être un documentaire dramatique prend soudainement des airs de chronique burlesque et poétique. À l'unisson des enfants, on est brinquebalé dans un mouvement incontrôlable, on en arrive à ne plus trop savoir si les fées vous veulent du bien, si les ogres vous veulent du mal, si les injonctions de vivre comme ceci ou de décider comme cela ont vraiment du sens – et au bout du compte, le monde adulte semble un cirque déréglé qu'ils regardent avec leurs yeux d'enfants, éberlués. Ils n'en sont pas moins d'une extraordinaire lucidité, qui force le respect et l'admiration.
Lumineux, solaire, le film de Ioanis Nuguet capte ces fragments d'histoire avec une grande douceur et beaucoup de générosité. Spartacus & Cassandra échappe avec grâce à tous les pièges du film à thèse ou du portrait misérabiliste. Sans doute parce que c'est aussi un conte, et que la fin d'un conte est forcément une belle fin – au moment où, peut-on penser, l'histoire ne fait que commencer. Et, à sa grande surprise, le spectateur en sort heureux et transformé.