Amour fou TP

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Berlin, à l'époque romantique. Le jeune poète tragique Heinrich souhaite dépasser le côté inéluctable de la mort grâce à l'amour: il tente de convaincre sa cousine Marie, qui lui est proche, de contrer le destin en déterminant ensemble leur suicide, mais Marie, malgré son insistance, reste sceptique. Heinrich est déprimé par le manque de sensibilité de sa cousine, alors qu'Henriette, une jeune épouse qu'Heinrich avait également approchée, semble soudainement tentée par la proposition lorsqu'elle apprend qu'elle est atteinte d'une maladie incurable. Une «comédie romantique» librement inspirée du suicide du poète Heinrich von Kleist, 1811.

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SPÉCIAL CANNES

 

Inspiré du tragique suicide de l’écrivain allemand Heinrich von Kleist, adapté au cinéma l’an dernier avec Michael Kohlhaas,  qui entraîna dans la mort Henriette Vogel, le nouveau film de la réalisatrice  autrichienne Jessica Hausner loin d’être un biopic de plus, est une œuvre fascinante, que certains trouveront austère, mais d’une somptuosité baroque avec cette touche de romantisme noir XIXe, d’une sobriété riche et exemplaire à l’image de La Marquise d’O de Rohmer, tiré de l’œuvre du poète.

Berlin, en l'an 1800 et des brouettes… Robes longues, chapeaux, jabots, fiacres et cochets… Les voilà donc ces grands romantico-comiques, ces jeunes aristocrates allemands. Toute une époque qui se décline, s'évente, se détaille de la tête aux pieds, s'ennuie… ça se languit, ça soupire, ça se désabuse. Et ça se lance dans de grandes discussions, avec des airs entendus, sur l'art, la politique, les affaires de leur monde… Et les certitudes des aînés ! Que de certitudes ! Que reste-t-il à la jeunesse comme perspectives, comme évasion ? Un idéal inaccessible : l'amour fou, la perfection des êtres et de leurs sentiments.
Du haut de sa trentaine, Heinrich, lui, a un temps d'avance sur son époque. Il sait que la passion ne dure qu'un instant. Chaque seconde qui s'écoule lui est fatale et elle ne peut que se diluer dans la routine quotidienne… Conduisant inéluctablement les êtres vers des lendemains peu enchantés, au gré de la déliquescence du corps, de l'esprit et des sentiments. La vieillesse : un déclin subi et non consenti… Quoi de plus sombre et de plus imparfait qu'un avenir dramatique et qu'un présent sans illusion ? « Faute de pouvoir vivre d'amour, autant mourir d'amour ! » se dit Heinrich. Mais… pas tout seul ! Le voilà donc en quête de « la femme de sa mort », la seule, l'unique. Celle qu'il abattra à la minute où ils s'aimeront pour figer à jamais la perfection de cet instant délicieux. C'est beau, c'est même sublime, non ? Alors, pourquoi sa chère cousine Marie ne bondit-elle pas de joie en apprenant qu'elle est l'heureuse élue ? Non seulement la pimbêche n'est pas flattée, mais en plus, l'incrédule pouffe de rire !

Déçu, Heinrich en déduit qu'il vient de faire une erreur de casting, mais ne renonce pas à son projet… Quelque part à Berlin, une femme l'attend qu'il pourra convaincre… Il vaque de salon en salon, proposant le rôle à des amies de plus en plus lointaines et qui semblent toutes entonner secrètement : « Mourir pour des baisers, d'accord mais de mort lente… ». Décidément, elles ne sont pas légion à postuler pour un Pacs (Pacte civil de suicide) avec lui ! Voilà Heinrich de plus en plus désabusé, inquiet sur le devenir de son beau dessein mortifère. Jusqu'à ce qu'il rencontre Henriette… Bien que réticente, la jeune femme, pourtant récemment mariée, tend une oreille compatissante et se montre encline à écouter le brillant poète…
Car, c'est le moment de vous l'apprendre, le Heinrich du film n'est pas un illustre inconnu, il est l'incarnation du célèbre écrivain Heinrich von Kleist, celui qui écrivit Le Prince de Hombourg, La Marquise d'O, ou encore Michael Kohlhaas (dont nous vous montrâmes il y a peu une très belle adaptation). Avec une élégance et une classe hors du commun, Jessica Hausner (qui, elle, a réalisé, entre autres le formidable Lourdes) n'a pas choisi de faire un biopic historique morbide qui aurait enfermé le film dans un style préétabli. La drôlesse s'est émancipée de tout cela, nous offrant une interprétation réjouissante, libre et décalée, de la vie de l'artiste, de son style. Elle joue avec les codes d'une société coincée, du ton et des attitudes raides des protagonistes et nous sert ce mélodrame burlesque dans un écrin de verdure bucolique. Fiction tirée au cordeau, tout à la fois réaliste et surréaliste, délurée et acérée, séduisante et déroutante… Comédie tragique ou tragédie farcesque ? Chaque spectateur pourra trouver son propre angle de lecture, plus encore s'il amoureux des belles lettres.

 18 mai 2014