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C'est un conte, une fantaisie, presque un film prétexte pour retrouver les copains, ceux avec qui on ne se lasse pas de siroter un pastaga à l'heure où le soleil, vu de l'Estaque, commence à plonger dans la Méditerranée. Un film comme une déclaration d'amour à des comédiens qui ont fini par faire famille à force d'être bien ensemble : une bonne partie était déjà là pour Dernier été, le tout premier film de Guédiguian, ils étaient là pour Marius et Jeannette, et encore pour À la vie à la mort et pour Les Neiges du Kilimandjaro, rejoints au fil des films par des petits nouveaux comme Adrien Jolivet, des petites nouvelles comme Anaïs Demoustier… Avec toujours, au centre de tout, Ariane, muse fidèle, tour à tour copine, amoureuse, frangine, maman… qui ici guide le film de l'un à l'autre, fait le lien, provoque les retrouvailles…
Cette fois Ariane est dans sa cuisine et s'affaire à fabriquer, comme si c'était la chose la plus importante du monde, une somptueuse pâtisserie pleine de crème et de chocolat, puis quand le gâteau est fin prêt, elle plante dessus une palanquée de bougies : c'est son anniversaire. Mais les livreurs de fleurs se succèdent sans que ceux qu'elle attend n'arrivent… puis sa fille téléphone pour annoncer qu'elle ne viendra pas, puis son mari pour dire qu'il est retenu ailleurs… le petit monde d'Ariane qui a tout misé sur l'amour semble au bord de s'écrouler sous les coups de ces défections successives. C'est toujours comme ça l'amour : la moindre défaillance, et l'imagination trotte, le doute s'insinue, vos illusions s'effondrent, vous pensez que vous n'êtes plus le centre du monde pour ceux qui représentent tout pour vous-même, qu'on ne vous aimera plus jamais, vous cherchez du regard la poutre où accrocher la corde pour vous pendre…
Pas le genre d'Ariane : notre dépitée a la vie chevillée au corps et bondit dans sa voiture, fonce vers le pont levant de Martigues… et s'y retrouve coincée tandis que, émoustillés par les rythmes de son auto-radio branché à fond, les conducteurs des voitures voisines se mettent tous à danser de la plus jolie façon, moment de grâce attachant autant que fugitif comme sait si bien les inventer Guédiguian… C'est gai, et c'est le coup d'envoi d'une suite d'aventures abracadabrantesques. Va savoir pourquoi elle se laisse embarquer par un jeunot jusqu'à une calanque paumée où Gérard Meylan tient un bistrot qui voit débouler régulièrement des cars de retraités tandis que Jacques Boudet philosophe jusqu'à plus soif, que Youssef Diaora n'en finit plus de célébrer son Afrique natale…
La suite ne se raconte pas, ne se devine pas, et tout le charme est là : il suffit de se laisser dériver au gré du courant d'une histoire où l'on retrouve les points d'ancrage des précédents films de Guédiguian : de la voie rapide qui surplombe les ports jusqu'aux îles arides du Frioul en passant par l'Estaque… avec toujours ce petit goût d'affection un peu gaie et un peu nostalgique, ce sens du temps qui s'effiloche, sculpte des visages qu'on aime encore plus – moins fous, plus tendres – jusqu'à en être parfois un peu couillosti… comme on dit dans le coin.