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Benoît Delépine et Gustave Kervern creusent de film en film leur sillon singulier, construisent pierre après pierre ce qu'il faut bien appeler une œuvre (voir l'intégrale de leurs films en Vidéo en Poche), d'une remarquable rigueur, d'une beauté sombre et déglinguée. Near Death Experience en apporte une nouvelle preuve et nous offre la gueule d'un acteur débutant et incroyable, tout en enrichissant la veine burlesque et la radicalité cultivées par le duo, autant dans la forme que dans le propos.
Dans NDE vous ne verrez quasiment qu'un seul personnage : Paul. Paul est un employé d'une grande entreprise de téléphonie, à quatre ans de la retraite. Dans une scène d'ouverture cruellement drôle qui pose remarquablement les enjeux du film, on le découvre au comptoir d'un bar, évoquant avec quelques collègues dont on entend juste les voix les vacances qui arrivent et dans le même élan le suicide d'un ouvrier de leur boîte… Il rentre chez lui, pavillon béton, se siffle le reste d'un cubi de rouge et, alors que la télé nous rappelle qu'on est un Vendredi 13 et que femme et enfants rentrent des courses, anodine routine, c'est le déclic : il enfile son maillot de cycliste le plus seyant, enfourche son deux-roues et grimpe sans prévenir vers la Montagne Sainte-Victoire toute proche pour une retraite d'ermite peut-être sans retour.
Comme on a pu le constater dans tous leurs films, l'un des talents de Delépine et Kervern est d'exploiter des gueules et des personnages au corps burlesque. Ici c'est l'écrivain Michel Houellebecq qui prête sa tronche prématurément vieillie et son corps malingre à Paul, personnage taciturne et suicidaire. Et au-delà de l'hilarité première provoquée par cet étrange bonhomme qui se balade au milieu du maquis en tenue de cycliste sans vélo et tente en vain de se suicider, le film évolue vers un constat lucide et finalement extrêmement émouvant sur le burn-out, sur les vies brisées par l'absurdité de notre monde dirigé par celui de l'entreprise. Un monde où, comme le dit Paul, on ne peut plus devenir un pépé tranquille comme autrefois, un monde où, à 56 ans, on doit rester compétitif, mari parfait, amant actif, copain de ses enfants, autant d'injonctions impossibles à combiner quand on est fatigué de la vie. NDE offre de purs moments de poésie brute quand Paul construit des tumulus de cailloux à l'effigie de sa femme et de ses enfants à qui il confie ses dernières impressions, ses aveux parfois risibles (comme quand il avoue qu'il a regardé des films porno pendant que son épouse était à l'hôpital pou run fibrome).
Sans doute le plus âpre a priori, de par le minimalisme de son dispositif – un personnage unique au milieu d'une nature aride – Near Death Experience est peut-être le plus abouti et le plus profond des films de Benoit et Gus. Et étrangement, tout en allant au fond du désespoir de son personnage, il nous insuffle par sa totale liberté et sa beauté sauvage une énergie dont on a bien besoin, autant au cinéma que dans la vie.