Il faut parfois partir très loin pour revenir à soi. Cet inclassable essai cinématographique, entre documentaire et journal intime, est autant l’histoire d’un voyage que celui d’un retour. C’est le récit d’un deuil écrit à mille lieues de son épicentre. En 2007, David Teboul a tragiquement perdu celui qui partageait sa vie. Dix ans plus tard, sa peine est toujours intense mais la précision du souvenir s’efface. Le long processus toujours en cours devait le conduire en plein milieu de la Sibérie pour prendre la forme de ce film. Mon amour porte en son cœur une très belle intuition : l’idée que l’amour serait comme un récit qui s’écrit à mesure qu’on le vit, sans qu’on s’en aperçoive, et que si un jour l’amour disparaît, son récit, lui, demeure. David Teboul s’attèle à en retrouver les traces pour pouvoir l’écrire. Mais comment retrouver le sentiment de l’amour quand il a été recouvert par la souffrance et la tristesse ? Tout au long du film, sa voix affectée, presque chuchotée, nous guide sur ce parcours : « il faut aller ailleurs, superposer un autre passé à mon passé, interroger la mémoire des autres pour que la nôtre réapparaisse ». Ce voyage est une tentative de reconstruction narrative d’un amour perdu.
C’est donc dans cet ailleurs radical, un tout petit village au cœur de la Sibérie en plein hiver, que David Teboul est parti chercher ses réponses les plus intimes. Un territoire sans limite, capable d’avaler n’importe quelle solitude, de submerger n’importe quelle sensation de vide. Tout au long du film, David Teboul y trouve un espace propice à l’introspection. Le temps semble ne pas s’écouler, imposant aux images une dimension photographique. De longs plans panoramiques captent une nature souveraine et aride alors que le texte dit en off se veut volontiers littéraire, créant un ensemble intimiste et lyrique à la fois.
En contrepoint, des entretiens avec les habitants de tous âges alimentent une réflexion sur l’amour. Toujours en retrait, David Teboul les interroge sur leurs vies sentimentales. Comment conçoit-on les relations amoureuses dans ces contrées isolées ? Une jeune femme longtemps déçue par les hommes raconte sa rencontre avec celui qu’elle n’attendait plus ; un vieil homme déclare avoir préféré rester au village que d’accompagner sa femme à la ville sans pourtant avoir jamais cessé de l’aimer ; un homme confesse avoir tué l’ex-mari violent de sa femme ; un couple témoigne de son histoire fusionnelle depuis près de cinquante ans, etc. Au rythme de témoignages souvent bouleversants, Teboul amasse autant de réponses que d’expériences racontées.
Passionnel, tumultueux, tendre ou bienveillant : si l’amour est universel, il prend toujours une forme singulière. Comme si le détour par d’autres vies lui indiquait le chemin, David Teboul évoque peu à peu sa propre histoire, son amour pour Frédéric, leurs moments de plénitude, mais aussi les tourments qui ont poursuivi leur couple et terni la vie d’un homme à qui le bonheur se refusait. Ce portrait de l’être aimé, autant que celui des habitants interviewés, tient lieu d’une reconstruction possible. Le souvenir restera toujours douloureux, mais le film laisse la trace d’un apaisement. Les paysages de Sibérie semblent ne jamais connaître la fin de l’hiver. Mais soudain la pureté de la neige immaculée et l’indifférence de cet immensité au temps qui passe forment une toute autre promesse. Celle qu’au bout du monde, il y a un recommencement.