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Garder la distance
Intouchables était un coup d’essai, Samba est un coup de maître, le grand film français populaire sans être populiste, drôle, touchant et en phase avec la société telle qu’elle se vit, un film à l’égal des comédies sociales anglaises de Ken Loach ou de Mike Leigh, où les héros souffrent, rient, résistent, ne baissent jamais les bras face à une adversité aussi réelle qu’écrasante, des héros du quotidien qui nous font trembler et qui finissent par nous redonner espoir en la vie et en nos combats.
À priori Samba et Alice ne sont pas franchement bien barrés dans la vie. Lui est plongeur au black (sans jeu de mot) dans un grand restaurant et lors d’une tentative de régularisation, le voilà enfermé en centre de rétention, avec vue imprenable sur les avions qui ramènent les déboutés du droit d’asile dans leur pays d’origine. C’est là qu’il va rencontrer Alice. Quadragénaire qui semble légèrement paumée, dont on comprend rapidement qu’elle soigne un burn out sévère, elle est fraîchement arrivée comme bénévole dans une association d’aide aux sans-papiers. Elle a reçu les consignes strictes de la jeune salariée de l’asso (incarnée par la pétulante Izia Higelin) : garder la distance, ne pas se laisser phagocyter par le vécu souvent douloureux de ceux que l’on essaie d’aider. Et pourtant quand elle rencontre Samba, Alice ne peut s’empêcher de lui donner son numéro de téléphone ! Entre ces deux-là on sait très vite que malgré tous les obstacles, malgré le fossé culturel et social qui les sépare presque autant que l’administration judiciaire et pénitentiaire, le courant est passé au-delà de toute préoccupation caritative et que c’est le début d’une improbable mais très crédible histoire d’amour.
L’impact immédiat du film tient d’abord à ses deux acteurs principaux : Omar Sy confirme sa prestation irrésistible d’Intouchables et Charlotte Gainsbourg s’avère décidément géniale dans les personnages brisés mais capables d’un sursaut, ici tour à tour maladroite et presque enfantine face aux sentiments naissant qu’elle ne maîtrise pas, colérique quand les séquelles de sa dépression reprennent le dessus, puis mutine quand elle retrouve la paix. Tous les deux savent être très drôles ou briller sur des registres plus graves. Autour d’eux, le duo Toledano/Nakache construit une très belle comédie romantique empreinte d’une vraie authenticité sociale. Dès la première scène, impressionnant plan-séquence, on est saisi. Nous sommes au cœur d’une fête de mariage somptueuse, où les mariés s’apprêtent à découper la pièce montée puis la caméra suit le gâteau qui s’enfonce dans le labyrinthe des cuisines puis des cuisines on passe à la plonge où ne travaillent évidemment que des Noirs. Toute la suite du film nourrit ce réalisme, autant dans sa description hilarante des auditions des migrants par les bénévoles, que dans les séquences plus graves qui se passent au centre de rétention ou tout au long de la longue chaîne d’exploitation des sans-papiers dans le bâtiment ou la sécurité.
Les deux réalisateurs, tout en menant une comédie désopilante et souvent touchante, parviennent ainsi à dresser le portrait probablement le plus juste que l’on ait vu dans le cinéma français sur le quotidien des sans-papiers et plus largement de l’Etat sécuritaire. On ne peut que dire chapeau bas et leur souhaiter le même succès que celui d’Intouchables, espérant au passage que, comme en son temps le Welcome de Philippe Lioret sur la situation des réfugiés à Calais, ce film lèvera bien des préjugés sur les sans-papiers.