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C'est un très beau et très doux et très déchirant film d'amour. Dont les protagonistes formidablement attachants sont deux hommes plus tout jeunes – la soixantaine, bien tassée pour le plus âgé des deux – qui ne perdent pas leur temps à camoufler leur calvitie plus ou moins avancée, leur barbe plus sel que poivre, pas plus que leur gracieux embonpoint…
George et Ben sont respectivement maître de chorale et peintre dilettante et sont surtout terriblement new yorkais, douillettement installés dans un appartement coquet de l'East Village, acquis récemment après des années de location. Après 39 ans de vie commune et d'amour fusionnel, malgré les hauts et les bas inhérents à l'exercice, ils viennent de se marier et de décider d'un petit voyage de noces européen, entre Tour Eiffel et Piazza Navona, où l'on peut manger le même spaghetti jusqu'au baiser…
Mais George n'a pas anticipé la réaction de son employeur, une vénérable institution catholique qui, sous la pression de parents scandalisés par le mariage homosexuel d'un des enseignants, se sent obligée de le licencier malgré plusieurs décennies de bons et loyaux services. Et voilà nos vieux amants désormais époux, dans un contexte immobilier impitoyable où la perte de l'emploi signifie immédiatement celle du logement, contraints de se séparer provisoirement pour être hébergés chez des parents respectifs. George trouve refuge chez son neveu flic et gay, dont le salon qui accueille le canapé-lit où il dort est un lieu de fête permanent… Tandis que Ben, lui, échoue dans la chambre du jeune et peu bienveillant Joey, le fils de son neveu Elliot en pleine crise conjugale avec son épouse Kate… Autant dire que la séparation et ces nouvelles conditions de vie, à un âge où les capacités d'adaptation ne sont plus au top, vont être difficiles pour l'un comme pour l'autre…
Il y a bien sûr une dimension politique dans le film sensible d'Ira Sachs, un regard incisif sur la discrimination qui sévit jusqu'au cœur de la gay friendly New York : même dans la Grosse Pomme on est susceptible d'être viré en raison de ses orientations sexuelles et un vieux couple marié peut se voir obligé de se séparer et de chercher un hébergement chez des proches. Un regard aussi sur ce système social inexistant et cette folie immobilière qui font tant et si bien qu'on peut se retrouver à la rue à l'âge de la retraite, après avoir travaillé toute sa vie.
Mais Love is strange est avant tout une chronique délicate et drôle sur l'amour qui résiste aux années qui s'écoulent, qui passe par-dessus les obstacles (l'infidélité chronique de Ben par exemple). Une chronique servie par deux comédiens exceptionnels de douceur et de charisme. Et c'est aussi une belle réflexion sur la transmission – ce n'est pas un hasard si Ben et George font deux métiers par lesquels on transmet par la beauté. C'est ainsi que chacun, toutes générations confondues, va prendre le meilleur de la cohabitation a priori difficile avec l'oncle Ben, Kate retrouvant un peu de sérénité dans sa vie, et le jeune Joey trouvant sa voie grâce à ce vieil homme au demeurant encombrant.