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"Feu de camp"
Nelly, belle femme blonde au regard d'acier trempé, quitte Berlin Est. Elle s'engouffre dans une berline avec son fils Alexej, petit pâlichon binoclard de 8 ans aux cheveux d'un noir de jais, et un ami sensé jouer le rôle du père. Fin des années 70… Le rideau de fer est bien là qui sépare les deux Allemagne. À la frontière, les gardes ne sont pas spécialement avenants. Nelly reste impavide. Elle en a vu d'autres, on le devine. Elle obtempère mais ne plie pas. L'allure fière, le regard droit. On la fait se déshabiller… Ambiance glaciale, désabusée. Interrogatoire, fouille au corps, intimidation… Fonctionnaires zélés, petits tyrans minuscules… Peur au ventre d'être séparée de son fils. De devoir rester là. Puis tout se tasse, sans autre forme d'explication. Les voilà passés de l'autre côté du mur…
De Berlin Ouest ils n'aperçoivent pas grand-chose, leur chauffeur, le faux papa, les dépose devant le camp d'accueil d'urgence de Marienfelde, étape obligée de tous ceux qui arrivent de la RDA. Mais le pied est mis dans l'embrasure de la porte qui s'ouvre vers la liberté. On leur procure draps, couverts, gîte… C'est à peine croyable, ils sont à l'Ouest ! Tant d'émotions qui se bousculent, qui peinent à s'extérioriser. Quand Nelly le réalise peu à peu, au moment où elle pourrait commencer à se détendre, c'est l'heure de la visite médicale. On la fait se déshabiller… Même ambiance glaciale, désabusée. Le parcours du combattant n'est pas terminé. Interrogatoires, intimidations exercées par des fonctionnaires tout aussi zélés, d'autres tyrans minuscules… Certes ce ne sont plus ceux de la Stasi, ce sont les agents des puissances étrangères, les Américains en tête, les libérateurs. Mais d'Est en Ouest ce sont les mêmes techniques qui misent sur votre usure, les mêmes questions auxquelles on se doit de répondre inlassablement, sans perdre patience. Les mêmes réponses que fait Nelly et qui la renvoient inévitablement vers un passé qu'elle voudrait oublier… C'est comme un jeu pas drôle, un casse-tête chinois aux règles inavouées et dont ne peut sortir qu'en ayant accumulé les bons points. Heureusement il y a les autres réfugiés. Sa joviale voisine de la chambre d'à côté qui se montre spontanément solidaire et amicale. Hans au profil plus sournois qui rôde autour d'Alexej et dont les bonnes ou mauvaises langues disent de se méfier…
Ce camp, c'est comme un petit village où tout le monde se connaît sans se connaître, où l'on ne sait pas qui est de quel côté, où l'on finit par suspecter tout le monde et par être suspecté. Un microcosme perdu entre les deux lobes d'une Allemagne rendue schizophrène, où règne une paranoïa généralisée. Eux qui rêvaient d'intégration, de se fondre dans la ville comme n'importe quel autre citoyen, les voilà coincés dans un no man's land qu'ils affrontent sans savoir quelle sera la durée de la peine, ni quel en sera le dénouement.
C'est une partie de l'histoire qu'on connaît peu dans le fond, qui donne une œuvre tout en tension. D'autant plus prenante qu'on sent qu'elle part du vécu du réalisateur et de l'écrivaine, Julia Franck, qui a écrit Feu de Camp, roman dont le film est l'adaptation.