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La terre
Le film est à l'image de son titre, beau et mystérieux, simple et pourtant poétique... Et ce titre, La Terre éphémère, aussi joli et imagé soit-il, n'est pas qu'une formule, c'est une réalité : chaque été, le cours du fleuve Inguri, frontière naturelle entre la Géorgie et l'Abkhazie, laisse émerger des îlots de terre fertile qui seront de nouveau recouverts pas les eaux dès les premières pluies. Ces îlots sont une aubaine pour les paysans : ils peuvent y cultiver le maïs qui leur permettra de vivre tout le reste de l'année, à condition de pouvoir le récolter avant que le niveau du fleuve ne remonte à la fin de l'été. La Terre éphémère suit un de ces paysans, un vieil abkhaze, qui prend possession d'un de ces îlots. Et l'on découvre alors le travail harassant qui l'attend. Il faut non seulement apporter tous les outils nécessaires à la culture
sur ce lopin cerné par les eaux, mais il faut également y construire un abri pour s'y installer durant la saison. Le paysan commence donc les allers-retours sur son modeste bateau, dépose sur l'île son matériel et les planches de bois qui serviront à la construction d'une cabane, et débute l'aménagement de sa parcelle au cœur du fleuve. On sent immédiatement dans ses gestes, lents et précis, la force de l'habitude et la connaissance des tâches à effectuer. Mais on sent aussi à quel point le temps est compté pour espérer récolter avant la remontée des eaux. Le vieil homme avance donc imperturbablement son dur labeur, avant d'être rejoint et aidé par sa petite fille. Leurs journées s'écoulent alors au rythme de la nature et des travaux à accomplir, régulièrement perturbées par le passage de patrouilles militaires sur le fleuve...
Huis-clos en plein air, encerclé par les eaux, La Terre éphémère ne s'éloigne à aucun moment de cette bande de terre nue et humide sur laquelle la vie éclot peu à peu. Et si cette île est une aubaine pour le paysan en raison de sa fertilité, elle est aussi une fantastique idée de cinéma, paysage aussi magnifique qu'irréel d'un champ de maïs planté au milieu des eaux, vision sublimée par d'élégants mouvements de caméra et des cadrages somptueux.
Le film s'adapte ainsi au rythme du travail du vieux paysan et de sa petite fille, scrute leurs visages et sonde leurs silences, laissant naître la tension du temps qui passe implacablement, et dont on ne peut oublier qu'il est compté. On ne saura rien de la vie en dehors de l'île, rien ne sera dit de la relation qui lie ce paysan et sa petite fille, mais on comprendra pourtant beaucoup de choses en les observant évoluer sur cette île le temps d'un été. Et c'est le monde extérieur qui va jouer les intrus : d'abord des coups de feu et des cris entendus au loin, puis les rondes des militaires sur le fleuve et la présence de soldats qui les observent depuis les berges. D'eux aussi, on ne saura que peu de choses, et on ne pourra que déduire, de la différence de la langue qu'ils parlent et de l'uniforme qu'ils portent, qu'un conflit est en cours. Mais leur présence de plus en plus pressante et leurs patrouilles qui s'approchent inexorablement de l'île menacent de rompre un équilibre déjà bien fragile.