Produit par Roger Corman, Saint Jack (Jack le magnifique) est une plongée irrésistible dans le monde post-colonialiste de Singapour où se croisent expatriés anglo-saxons, prostituées du coin et gangs locaux. Le projet a été amené par Orson Welles, qui avait aimé le roman de Paul Theroux dont le film est adapté. D’abord envisagé pour le réaliser lui-même, Saint Jack (Jack le magnifique) finira entre les mains de Peter Bogdanovich. Tourné en décors réels dans les rues de la mégalopole, mêlant acteurs professionnels et amateurs recrutés sur place, ce film tient autant de la chronique sociale, de la comédie mélodramatique que du polar, avec une influence revendiquée du côté de Jean Renoir, Orson Welles et de son contemporain John Cassavetes – auquel il emprunte l’un de ses acteurs fétiches, le charismatique Ben Gazzara (Meurtre d’un bookmaker chinois, Husbands). Sa performance de proxénète amoral – mais non dénué de principes – en fait un lointain cousin de Humphrey Bogart dans Casablanca (1942) ou de Richard Widmark dans Les Forbans de la nuit (1950). Mêlés à des combines plus ou moins louches et illégales, ces trois héros traînent leurs guêtres dans une ville où se côtoient misère humaine, solitude et excès en tous genres… La caméra de Robby Müller – grand chef opérateur de Wim Wenders et Jim Jarmusch – capte avec brio cet esprit bouillonnant et bigarré qui régnait alors à Singapour, témoignant par là des évolutions grandissantes qu’a subies cette ville en seulement quarante ans. Saint Jack (Jack le magnifique) a été interdit de sortie sur l’île car le gouvernement avait accusé Peter Bogdanovich de donner une mauvaise image de Singapour et d’avoir menti sur le propos véritable du film – ce que le cinéaste reconnaît tout à fait, arguant que le tournage n’aurait pas pu se faire sinon. Ultime parenthèse asiatique dans sa carrière, Saint Jack (Jack le magnifique) compte parmi les œuvres préférées de Peter Bogdanovich, à retrouver pour la première fois dans sa sublime version restaurée !