3 | 2 | 3.75 |
Noah Baumbach, on l'avait laissé sur le petit nuage du succès aussi considérable qu'inattendu de son précédent film : Frances Ha. Une miniature charmante et pleine d'allant, un peu anodine mais charmante. Avec ce While we're young (traduction littérale : pendant ou tant que nous sommes jeunes), celui qu'on peut considérer comme le favori au titre officiel de successeur certifié de Woody Allen place la barre nettement plus haut et nous livre un modèle de comédie new-yorkaise, autrement dit diablement intelligente, voire cérébrale (ce qui n'est pas un défaut), brillante, sophistiquée, drôle, mélancolique, merveilleusement interprétée (Ben Stiller et Naomi Watts sont particulièrement bons et justes et crédibles) et délivrant quelques vérités bien senties sur pas mal de sujets qui n'intéressent pas seulement la petite communauté arty du New-York bohème.
New York donc. La communauté artistique donc. Des hommes et des femmes. En couple. Leurs névroses souvent tordantes apparaissent à travers des conversations relevées et éloquentes, des échanges qui amusent ou déchirent, des scènes douces, amères, ou les deux en même temps. Deux couples. Josh et Cornelia ont bien entamé la quarantaine. Jamie et Darby s'épanouissent dans la vingtaine. Une vingtaine vintage, en quelque sorte, puisque volontiers tournée vers le passé : ces deux jeunes ostensiblement non conformistes consomment la culture de leurs « aînés » à la façon d'hier (disques vinyles, films sur VHS), aiment faire du patin à roulettes et utiliser une machine à écrire (électrique quand même) plutôt qu'un ordinateur. Des électrons libres qui ne manquent pas de séduire Josh et Cornelia, aux prises avec une maturité-venue-par-surprise-et-bien-trop-tôt. Attendez, là, avoir besoin de lunettes pour lire ? Faire de l'arthrite ? C'est pour eux ? Pas possible ! Pas déjà !
L'amitié se tisse entre les quatre, d'autant que les meilleurs – pour ne pas dire seuls – amis du couple « mûr » viennent d'avoir un enfant, et il faut bien le dire : il n'y a rien de plus barbant pour un couple sans enfant que de fréquenter un couple qui vient d'en avoir un, surtout quand tout ce beau monde commence à prendre de la bouteille ; d'autant également que Josh, qui enseigne le cinéma à la fac en attendant de mettre un point final au documentaire sur lequel il travaille depuis dix ans (!), retrouve beaucoup de lui-même jeune en Jamie, aspirant documentariste qui fait partie de ses étudiants, mais en auditeur libre, pas question non plus de rentrer dans le moule universitaire. Naissance d'un tandem mentor/élève menant une quête artistique, quoi.
Le décor est planté, les protagonistes bien campés. Les deux premiers tiers du film sont piquants, vifs, délurés, servis par des dialogues naturels en mots et honnêtes en émotions. Le dernier tiers prend un virage assez inattendu, il déstabilise un peu par une gravité que n'annonçait pas l'heure précédente.
Aujourd'hui lui-même dans la mi-quarantaine, Noah Baumbach explore ici avec adresse, sans illusions mais sans cynisme, le fossé entre deux générations où la jalousie peut aller (ou va) dans les deux sens. L'anxiété des plus âgés et la liberté de penser des plus jeunes sont-elles antagoniques ou complémentaires ? Ou le reflet du passé pour les uns et de l'avenir pour les autres ? Ou les deux faces, maquillées par l'âge ou la jeunesse, d'une même médaille ? Question subsidiaire : l'ambition et le calcul qui va souvent avec sont-ils bien du côté où on croit qu'ils sont ?
On peut donc émerger de While we're young avec un tas de questions en tête et quelques réflexions en bandoulière. On peut aussi simplement y passer un bon moment en bonne compagnie. Ou plutôt, un excellent moment. En excellente compagnie.