Makala TP

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Au Congo, un jeune villageois espère offrir un avenir meilleur à sa famille. Il a comme ressources ses bras, la brousse environnante et une volonté tenace. Parti sur des routes dangereuses et épuisantes pour vendre le fruit de son travail, il découvrira la valeur de son effort et le prix de ses rêves.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2017 

Travaux d’Hercule

Monter le premier long métrage d’Emmanuel Gras en tant que réalisateur avait été le parcours du combattant. Sélectionné à l’Acid en 2011, Bovines raflait tous les suffrages après avoir rendu perplexe de nombreux lecteurs. La mise en œuvre de Malaka a été toute aussi longue. Le projet est né dans l’esprit d’Emmanuel Gras alors que ce dernier travaillait comme chef opérateur pour des documentaires belges tourné au Congo. Il découvre alors le ballet incessant effectué par de jeunes hommes, convoyant à vélo, sur des routes particulièrement dangereuses, fréquentées essentiellement par des camions, le charbon de bois qu’ils fabriquent eux-mêmes en brousse pour le vendre en ville. Peu à peu, naît l’idée de tourner un film sur l’un d’entre eux, déterminé à construire une maison pour sa famille, en achetant peu à peu des matériaux grâce au produit de ses ventes. "C’est un vrai héros. Un documentaire qui ressemble à une fiction, dans le sens où il y a un personnage avec sa quête, des obstacles, une aventure. Et cet homme a une force et une noblesse impressionnante. Il ne se plaint jamais, ne baisse jamais les bras, est animé par une énergie phénoménale. Tout cela donne un sens profond au film. Mais ce n’est pas un docu-fiction", détaille Nicolas Anthomé qui a de nouveau produit Makala avec sa société bathysphere. Le film a été notamment soutenu par Cinémage et Ciné+, le CNC, les régions Auvergne Rhône-Alpes et Île-de-France, Les Films du Losange le prenant en distribution.

S'il fallait encore une démonstration qu'un film documentaire peut s'avérer aussi beau, aussi captivant, aussi émouvant que le plus réussi des films de fiction, ce superbe Makala, justement récompensé au dernier Festival de Cannes par le Grand Prix de la Semaine de la critique, s'en charge haut la main. A partir d'un dispositif d'une lumineuse simplicité, Emmanuel Gras nous offre tout ce qu'on peut attendre d'une œuvre marquante : un personnage fort et bouleversant, une action palpitante, pleine de rebondissements, au fil de laquelle le spectateur tremble pour le devenir du héros, et des plans sublimes de beauté.
Le héros, c'est Kabwita Kasongo, un modeste paysan congolais. On sait que le Congo, malgré des ressources infinies en matières premières et précieuses, fait toujours partie des pays en lice pour le triste record du nombre d'habitants vivant en dessous du seuil de pauvreté. Un pays endeuillé par des guerres civiles monstrueuses dont le nombre de victimes égale celui de la seconde Guerre Mondiale. Autant dire que quand on est paysan comme Kabwita, on s'attache aux choses essentielles, celles qui contribuent à la survie de sa famille, et son objectif immédiat est juste de pouvoir acheter quelques plaques de tôle pour agrandir sa maison. Le peu d'argent qu'il lui faut, il ne peut le gagner qu'en vendant du charbon de bois, qu'il fabrique et qu'il doit écouler à Kinshasa, à environ 50 kilomètres de son village. Pas facile de les parcourir, ces 50 kilomètres, quand on ne possède qu'un vélo brinquebalant et que la route jusqu'à la capitale est longue, poussiéreuse, cahoteuse et pleine de dangers. Le film va suivre Kabwita tout au long de son périple, de la production à la mise en vente : le choix de l'arbre, son abattage, la transformation en charbon, l'entassement surnaturel de la cargaison sur le vélo chargé de plusieurs dizaines de kilos, le voyage périlleux et harassant sur ou le plus souvent à côté du deux roues qu'il doit pousser à bout de bras jusqu'au marché de Kinshasa… S'il y arrive, car les obstacles sont nombreux : le vélo qui tombe, les policiers corrompus qui menacent d'interrompre le parcours…
Ce qui est magnifique, c'est que la caméra d'Emmanuel Gras est comme un compagnon de voyage, jamais intrusif, suivant le paysan et ses efforts surnaturels dans les paysages superbes du Congo. Gras fait des plans incroyables dans la nuit équatoriale quand d'énormes camions lancés à 100 km/h sur les pistes poussiéreuses frôlent le frêle vélo de Kwabita. Mais dans cet univers dantesque, il filme aussi les rencontres chaleureuses et consolatrices avec des proches et témoigne ainsi de la solidarité des plus fragiles qui, même dans ces situations de survie, ne cèdent pas au chacun pour soi.
Les dernières phrases à M. Macheret, dans Le Monde : « Un homme, un vélo, une route. Depuis Bovines (2012), qui s’intéressait à la vie des vaches, Emmanuel Gras a l’habitude de ramasser le principe de ses films en un concept sec et percutant. Mais s’il atteint ici à une forme supérieure d’émotion, ce n’est pas seulement grâce à l’incroyable mobilité de la caméra et aux perspectives épiques qu’elle dessine. De par sa simplicité et sa linéarité, Makala s’ouvre à une dimension allégorique, dans laquelle on peut voir une image limpide de la condition prolétarienne, voire, tout simplement, de la condition humaine. Kabwita, forçat de la terre, c’est l’homme condamné à traîner son lourd fardeau, le long d’une route sans fin et semée d’obstacles, qui ressemble à s’y méprendre à l’âpre cheminement de l’existence. » On ne saurait mieux écrire.