Wolf and Sheep

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Dans les montagnes d’Afghanistan, les enfants bergers obéissent aux règles : surveiller le troupeau et ne pas fréquenter le sexe opposé.
Mais l’insouciance n’est jamais loin ; alors que les garçons chahutent et s’entraînent à la fronde pour éloigner les loups, les filles fument en cachette, jouent à se marier, et se moquent de la petite Sediqa, considérée comme maudite.

Vos commentaires et critiques :

QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2016

Pour une autre image de l’Afghanistan

Au départ, Shahrbanoo Sadat voulait faire un film sur un ophtalmologue américain travaillant en Afghanistan. Quelques semaines avant le tournage, ce dernier est assassiné par les talibans. “ À la même époque, mon projet fut sélectionné par la résidence de la Cinéfondation. Je suis allée à Paris développer un projet qui n’existait plus. J’étais complètement déprimée et perdue. Au bout de deux mois, j’ai décidé de faire un film sur une fille qui a des problèmes de vue mais n’en a pas conscience. J’ai commencé à travailler sur cette histoire et je me suis rendu compte que ce qui m’intéressait le plus était une certaine vision de la vie propre au peuple afghan.” La jeune cinéaste rencontre la productrice danoise Katja Adomeit lors d’un Dox:Lab du Festival de Copenhague avant de créer sa société de production à Kaboul. Puis commence un long travail de casting. “J’ai dû voir environ 1000 enfants dans le centre de l’Afghanistan. Partant d’une liste plus restreinte, j’ai parlé avec leurs familles et j’ai fait passer un casting à certains de leurs proches afin de leur confier les rôles des adultes. Il s’agissait de gens du cru qui ne s’étaient jamais trouvés face à une caméra et n’avaient pas la moindre idée de ce qu’ils devaient faire”. Le tournage a duré quatre semaines au Tadjikistan.“ Les longues barbes et les foulards n’y sont pas autorisés par les autorités. J’avais amené 38 Afghans qui avaient gardé leur apparence originale et je leur avais même demandé de ne surtout pas couper leurs cheveux et leurs barbes pour le film. Alors, chaque fois qu’ils allaient en ville, la police les arrêtait et les interrogeait, parfois pendant des heures.” 

Journal intime

Dieu, que les montagnes grisonnantes d'Afghanistan sont belles quand les rayons du soleil embrasent les herbes rases et sèches ! Elles semblent soudain se parer d'or, faisant presque oublier l'aridité du paysage. À leur pied, un petit village aux humbles maisons en pisé semble vaillamment résister à l'air du temps, aux intempéries. La vie y est rude. Les gosses ont de grands yeux sombres et pétillants, le teint trop hâlé à force de courir toute la journée au soleil, à l'air libre. Encore tout jeunes et pourtant l'on devine déjà les traces que laissera le temps sur ces peaux lisses, qui rosissent volontiers de plaisir. Ils ne sont déjà plus de simples agneaux innocents. Dans leur bouche, les mots crus qui fusent les font paraître sans âge. Un vocabulaire qui dans nos contrées leur vaudrait au moins une punition. Mais ici, si on les punit brutalement parfois, ce n'est pas pour une simple histoire de grossièreté mais plutôt parce qu'ils ont oublié les règles de conduite nécessaires à la survie des indispensables troupeaux dont dépendent le village. Pas de place pour l'attendrissement.
Le film débute d'ailleurs par l'image d'un joli mouton noir attaché à un piquet par une corde. L'animal inquiet observe les hommes tout en semblant comprendre que ces derniers ne lui veulent pas que du bien et que son heure est proche. Le carcan de l'animal ne semble pas si éloigné de celui des gosses. Cette jeunesse-là n'est pas celle de l'insouciance. Dès le plus jeune âge la communauté vous dresse, vous impose ses règles, et les responsabilités qui vont avec. Et celles des petits bergers et bergères sont aussi grandes que leurs silhouettes paraissent frêles sur les flancs des collines. Petites taches bariolées pour les filles, costumes passe-partout pour les gars. Les moutons sont précieux et les loups qui rôdent alentour restent à l'affût du moindre manque de vigilance. 
Mais quels que soient les risques encourus, la légèreté finit par reprendre ses droits. Fusent le rire, les espiègleries… Alors les mômes oublient tout, quitte à encourir la furie des adultes. Mais elle ne leur fait pas peur tant elle fait partie du paysage, régente les relations dans cette micro société qui ne connait encore que le troc. La violence n'est qu'un moyen d'expression parmi d'autres et on se calme souvent aussi vite qu'on a explosé. 
La jeune Sediqa malgré tout ne s'y fait pas vraiment. Comme si elle pressentait qu'autre chose peut exister. Peut-être aussi parce qu'elle est mise au ban par ses petites camarades qui se moquent constamment de ses yeux bizarres. Cela ne lui laisse pas grand monde à qui parler. D'autant que les garçons font partie d'un monde à part qu'il est interdit de côtoyer, qu'on se contente d'observer du coin de l'œil. Jusqu'à ce que, faisant fi des interdits, elle se lie d'amitié avec l'un d'entre eux, Qodrat..
Shahrbanoo Sadat, la jeune réalisatrice, nous offre un portrait de son pays loin des images d'Épinal, des sujets déjà traités par d'autres : la condition des femmes, la guerre civile… Tout cela est en arrière plan pour mieux laisser le spectateur s'imprégner de la réalité d'un milieu rural abrupt qu'elle connait bien. C'est dans ce petit village, chargé de ragots et de légendes, qu'elle a passé une partie de son enfance, tout aussi isolée que son héroïne. Même si le film n'est en rien une autobiographie, sans doute est-ce pour cela qu'il nous touche profondément : authentique et puissant.