1956, le mur qui sépare les deux Allemagne n’est pas encore construit. Les frontières ne sont pas tout à fait hermétiques entre l’Est et l’Ouest. La RDA, qui s’efforce d’afficher une confiance absolue dans la fidélité révolutionnaire de ses citoyens, les autorise à circuler d’un pays à l’autre, à condition de fournir de bons prétextes pour justifier d’un aller-retour. Théo et ses copains lycéens ne s’en privent donc pas. Les militaires qui patrouillent et font les gros yeux ne rajoutent qu’un peu plus de piquant à la situation. Quoi de plus excitant quand on a dix huit ans que de braver quelques interdits, d’avoir quelques frissons qui vous parcourent l’échine en tendant ses papiers, l’air bravache. Et puis quoi de mieux, au lieu de réviser son Abitur (l’équivalent de notre baccalauréat) que d’aller se détendre dans les salles obscures ouest allemandes ? Non pour des raisons politiques, mais tout simplement pour admirer les poitrines avantageuses des stars hollywoodiennes ! Peu importe qu’elles soient d’affreuses social-traitresses, du moment qu’on peut se vanter de cet exploit !
C’est au détour d’une de ces petites virées bien innocentes que Théo et son pote Kurt vont se trouver par hasard rattrapés par les actualités qui précèdent le film. Sur l’écran fusent les images de l'insurrection populaire à Budapest. Les étudiants qui se révoltent pacifiquement devant leurs yeux ont quasiment leur âge. Empathie immédiate, admiration pour ceux qui réclament courageusement la liberté d’expression, celle de la presse, l’indépendance nationale, des élections libres et le retrait des troupes russes… Quelques minutes inattendues porteuses d’un vent de liberté inespéré. Sans qu’ils soient politisés, s’ouvre soudain devant eux un champ de possibles dont ils n’auraient même pas oser rêver.
De retour côté Est, dans leur petite ville de Stalinstadt, les deux garçons répandent discrètement la nouvelle dans toute la classe. Filles et garçons s’emballent, spéculent, de plus en plus désireux de connaître la vérité sur ce qui se passe en Hongrie. Impossible de se faire une idée avec le seul son de cloche officiel que diffusent les médias, relais de la propagande soviétique. Alors, n’y tenant plus, leur curiosité l’emportant sur la prudence, Kurt, Théo, Lena, Erik, Paul et les autres décident d’aller écouter la radio ouest-allemande RIAS chez un étrange vieux bonhomme… C’est de là que le scandale va partir… Choqués par l’annonce du décès de Ferenc Puskás, le Zinedine Zidane hongrois de l'époque, les voilà qui s’emballent un peu plus. Après avoir participé docilement au lever du drapeau comme chaque matin, la classe entière décide de faire un petit geste de protestation, une simple minute de silence qui va vite les dépasser et devenir une véritable affaire d’État…
De facture classique, La Révolution silencieuse restitue scrupuleusement l’ambiance de l’époque, son contexte, la réalité quotidienne de cette période de l’histoire rarement abordée au cinéma. Le film se garde de toute analyse manichéenne qui condamnerait un bloc ou l’autre. Rien n’est aussi simple. Tout en critiquant son totalitarisme, le socialisme semble alors la meilleure voie pour les gens du peuple jusqu'alors laissés-pour-compte. De part et d’autre, les deux Allemagne qui se réunifieront plus tard portent leurs poids d’espérances, d’espoirs déçus et de passé honteux. Les compromissions avec l’ennemi, le nazisme, les camps d’extermination resteront longtemps comme autant de tâches indélébiles. Et puis surtout ces quelques secondes de rébellion adolescente vont entraîner ses auteurs à la découverte du courage collectif.