C'est un premier film étonnant et tout à fait français dans sa production, réalisé par le duo Hanna Ladoul et Marco La Via, qui investit avec une fraîcheur euphorisante et un réel brio un cadre emblématique, un lieu de fantasme de cinéma absolu : Los Angeles et son quartier mythique de Hollywood, la colline de tous les espoirs très souvent déçus, de tous les extrêmes, de toutes les chimères, de toutes les illusions perdues à l'aube d'une nuit de fête trop dispendieuse. L'envers du décor, ce sont ces dizaines, ces centaines de tentes de SDF qui s'alignent à l'ombre des palmiers dans les quartiers oubliés des guides touristiques…
Nous les coyotes, référence au petit canidé à la sale réputation qui pullule sur les hauteurs de Los Angeles, est l'histoire au demeurant toute simple d'un jeune couple du Midwest qui déboule à bord de son 4x4 hors d'âge dans la cité des Anges, plein d'espoir dans un avenir qui s'annonce dans leur esprit forcément radieux au soleil de la Californie. Lui est un peu artiste et poète, pas franchement un winner né, et préfère la poésie française au Nasdaq. Elle est un chouia plus pragmatique, et après une petite expérience dans le monde de la musique, elle a dégoté un entretien d'embauche dans une maison de disques qui a pignon sur rue. Elle a une tante sur place qui peut les héberger dans un premier temps, et pour elle ça ne fait pas un pli : elle pourra rapidement leur dégoter un petit home sweet home avec son premier salaire… Mais évidemment rien ne va se passer comme prévu. La tante s'avère une donneuse de leçons insupportable qui critique à tout va le dilettantisme du petit ami, et l'entretien d'embauche ne se déroule pas vraiment comme espéré (séquence aussi drôle que terrible avec deux représentants branchouilles de la start-up nation mondialisée qui feraient presque regretter les bons vieux patrons paternalistes du temps de la lutte des classes).
Le film dépasse bien sûr la spécificité du rêve californien en décrivant avec émotion et justesse les espoirs, les déceptions, mais aussi le ressaisissement d'un tout jeune couple (remarquablement interprété par Morgan Saylor et McCaul Lombardi) porté par un amour profond et une confiance mutuelle qui leur permettent d'affronter les déconvenues et même les aléas plus sérieux alors qu'ils débutent à peine dans vie, et cela pourrait se passer dans n'importe quelle grande métropole du monde.
Nous les coyotes révèle ainsi la cruauté de la ville, son idéologie du fric roi, qui ne laisse leur place qu'aux gens déjà bien nés comme le révèle la scène ubuesque de l'entretien d'embauche et qui ne fait que précariser les plus faibles, un monde où tout n'est qu'illusion, où un DJ souriant confie à son pote qu'il dort en fait dans sa voiture une fois la fête finie… Mais la beauté du film est de montrer aussi que, face à ces logiques impitoyables, on peut tracer sa voie sans forcément écraser l'autre : c'est ainsi que le jeune héros va réussir à faire son trou grâce à sa connaissance du poète français Francis Ponge, pied de nez savoureux dans un pays où la culture n'est pas forcément une priorité… Au final un premier film lucide, intelligent et lumineux, qui est par ailleurs un miroir du destin de son couple de jeunes réalisateurs qui sont allés tenter l'aventure américaine.