Ils sont tous, tellement excellents qu'on voudrait citer tous les protagoniste de ce « drame gai » ou « fantaisie dramatique » comme disait Jean Renoir à propos de sa Règle du jeu qui, autour d'une partie de chasse à la campagne, brossait une peinture drôle, subtile, féroce de l'aristocratie des années 30 et de ceux qui la servent, posant sur tous un regard critique mais tout autant humaniste…
80 ans plus tard, on pense fatalement au chef d'œuvre du « maître » et on se dit que Jaoui et Bacri se placent sans ridicule dans cette filiation et réussissent, en toute modestie, un portrait gai, drôle, grinçant, et néanmoins bienveillant de notre époque et de la société qui s'y agite, à partir d'une fête qui va durer jusqu'aux aurores, dans un lieu unique et sublime.
On notera à quel point la collaboration Jaoui/Bacri a un effet stimulant : les dialogues comme les situations sont nourris, font sens, et si le rythme est virevoltant, on capte au vol avec jubilation les petites finesses qui pointent et piquent ça et là. La musique de Fernando Fiszbein est superbe et quand Jean Pierre Bacri chante Yves Montand ou Alain Bashung, une douce mélancolie vient alors colorer la fête d'émotion.
Castro, star il n'y a guère du petit écran, est à présent un animateur sur le déclin. Son chauffeur Manu le conduit à la pendaison de crémaillère de Nathalie, sa productrice et amie de longue date, qui a emménagé dans une belle maison en pleine campagne bien qu'à 35 minutes à peine de Paris. Son ancienne femme, Hélène, est invitée, tout comme sa nouvelle amoureuse qui n'en finit pas d'arriver. Il y a là aussi une palanquée d'amis, de connaissances, d'admiratrices, de nouveaux venus du show-biz qui font le buzz sur les réseaux sociaux… La fête monte en puissance au gré des arrivées, les sentiments anciens et inavouées font surface, les petites jalousies et les regrets aussi, les générations se confrontent et Nathalie suit au téléphone les variations des courbes de l'audimat qui menacent de provoquer l'éjection de Castro : la fête est privée, mais par les effets diaboliques des réseaux sociaux, chacun se précipitant pour se mettre en valeur en postant photos et extraits tous azimuts, ce jardin secret se transforme en Place publique. Les autochtones non invités font irruption parmi cette population « branchouille » qui refuse de baisser la sono au mépris du sommeil des braves paysans voisins qui doivent se lever aux aurores…
Confrontation des classes sociales, rôle des réseaux sociaux, constat pour soi et pour les autres que le temps passe, que valeurs et convictions s'essoufflent aussi… L'air du temps veut qu'on persifle le « politiquement correct ». Désormais c'est une pseudo « incorrection » qui a la cote parmi les animateurs nouveaux : le cynisme a le vent en poupe et finalement, dans ce rayon là, Castro a encore de beaux jours… Hélène, par contre, a bien du mal à caser sa petite afghane et ses pétitions.
Après la pluie qui va perturber la fête, la fille de Castro trouvera l'amour en la personne du chauffeur de son père, le romantisme l'emportera donc sur le cynisme et la comédie sur le drame : « Sans doute sommes nous un peu neuneus ! On croit en l'amour, en la jeunesse et la possibilité de fins heureuses. On a, malgré tout, espoir dans l'humanité, nous ne pouvons nous empêcher d'espérer »… disent les deux auteurs / acteurs qui excellent dans le maniement de l'humour vache ! Lucides, mais bienveillants…