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À consommer sans modération
Cher Benoît, cher Gustave, c’est vrai qu’on vous aime depuis longtemps. Parce que vous êtes probablement capables de tous les prodiges : avec Aaltra, vous avez convaincu des milliers d’handicapés qu’ils pouvaient traverser l’Europe en faisant chier un max de gens ; avec Louise Michel, vous avez montré la voie pour axer la lutte sociale sur l’exécution des patrons scélérats ; avec Mammuth, vous avez magnifié la revanche des retraités pauvres en mobylette ; avec Le Grand soir, vous avez réconcilié les punks à chiens et les vendeurs de literie, et rendu immortelle une chaîne de restauration à base de patates. Enfin à travers votre film le plus incompris, Near Death Experience, vous rendiez justice aux cyclistes dépressifs tout en rendant sympa et génialement drôle l'écrivain Michel Houellebecq… Mais là, prouvant que des hectolitres d’alcools de toutes origines n’ont en rien affecté votre force créatrice, vous vous êtes surpassés. Avant Saint Amour, je ne savais pas qu’on pouvait en une heure et demie autant se pisser dessus de rire et autant pleurer. Si j’avais su qu’un jour je chialerais en écoutant le discours d’un éleveur de bœufs à un concours agricole… Et en plus vous avez fait du Salon de l’Agriculture le plus beau lieu de tournage ludique qui soit. Pourtant votre film commence sur un artifice de scénario qui est du grand n’importe quoi mais on s’en fout : au départ il y a Jean (Gérard Depardieu, grandiose), éleveur de bovins de compèt, et son fils Bruno (Benoit Poelvoorde, formidable avec le cheveu gras collé) qui participent comme tous les ans au Salon dans l’espoir que la médaille tant espérée viendra enfin récompenser leur taureau bien couillu. Mais Bruno n’y est pas… Tout ça le déprime. Il a la bonne quarantaine, bosse tout le temps dans la gadoue, se prend des vestes dès qu’il approche les filles et il n’est pas question pour lui de reprendre la ferme familiale. La seule chose qui le console, c’est de profiter de cette semaine parisienne pour faire la route des vins…. à l’intérieur du salon… éclusant un à un tous les stands de dégustation représentant les vignobles des régions françaises. Face à cette situation pathétique, Jean va prendre les choses en main et embarque son grand fiston dépressif pour une vraie route des vins dans le taxi de Mike (Vincent Lacoste, parfait), jeune frimeur parisien, mythomane patenté. Un roadmovie très coûteux mais très drôle pour le père et le fils qui vont ainsi renouer les liens au fil de rencontres détonantes : avec une jeune serveuse obsédée par la dette abyssale de la France, un hôtelier Airbnb très inquiétant (Michel Houellebecq très très flippant), une cavalière pré-ménopausée en recherche immédiate de géniteurs… Tout ça agrémenté de bitures légendaires. Bon, reprenons votre hagiographie les gars. Franchement, comment réussissez-vous avec autant de succès à concilier les scènes hilarantes, parfois délicieusement borderline (on voit même la quéquette molle de Benoît P, quand même, c’est pas bien de mettre ainsi à nu vos héros), et des séquences d’émotion pure, notamment celles où le fils et le père se rapprochent envers et contre tout, ou encore celle où la superbe Céline Sallette chevauche le long de la Seine ? Et surtout avez vous réalisé que, derrière votre truculente comédie, vous avez rendu un des plus beaux hommages qui soient au monde paysan, à son courage, son sens de l’abnégation et de la transmission ? Sans compter que, même si vous protestez d’être devenus sobres, vous nous invitez – en nous prévenant bien de pas tomber dans les excès de Bruno – à s’en jeter un derrière la cravate. Donc les gars, on s’incline une fois de plus devant votre talent, ça va finir par devenir lassant…