Il y avait bien longtemps qu’on avait été séché, littéralement, par une scène de poursuite dans un film policier. Un dealer, surpris par l’arrivée des pandores, file dans un dédale de ruelles comme s’il avait le diable à ses trousses. Il zigzague entre les maisons, longe les murs, passe d’un ilot d’habitations à une zone de travaux, tente au passage, un flic toujours sur ses talons, de se débarrasser de sa cargaison en la jetant sur un toit-terrasse, passe des grilles et trouve refuge dans l’excavation d’un chantier. Échappant ainsi in-extremis à un inspecteur à bout de souffle, les poumons en feu, qui se retrouve Gros-Jean comme devant. Samad, le flic, repart sans sa proie mais a au passage récupéré, comme preuve accablante, le sachet de drogue abandonné. Cette ouverture, sèche, nerveuse, haletante, filmée en un plan-séquence magistral, donne le ton : La Loi de Téhéran sera résolument un film noir, dans la meilleure tradition du genre. Celui qui, sur fond d’enquête policière, ausculte les dysfonctionnements du monde, se penche sur les laissés-pour-compte de la société, explore les zones grises dans lesquelles se mêlent le bien (la police) et le mal (la pègre). Adoubée, excusez du peu, par Son Altesse William Friedkin (on pense effectivement parfois à Police fédérale Los Angeles ou French connection) c’est surtout du côté du cinéma coréen et de ses polars à la violence crue, enlevés, poussiéreux, impeccablement rythmés et notoirement efficaces, que lorgne la mise en scène impressionnante de Saeed Roustaee.
On nous explique qu’en Iran, qu’on se fasse alpaguer en possession de dix grammes ou de dix kilos de stupéfiants, c’est tout comme : peine capitale pour tout le monde. Et que de ce fait, quitte à jouer leur vie, les narcotrafiquants ne font pas dans la demi-mesure, ce qui entraine, à rebours des effets escomptés par l’État, une explosion de la consommation : le titre international du film, Just 6,5, fait référence au chiffre estimé de six millions cinq cent mille consommateurs au pays des Mollahs (sur 83 millions d’habitants) – principalement issus des couches les plus défavorisées. De leur côté, sous-payés, sous-équipés, les fonctionnaires de police passent autant de temps à se tirer dans les pattes qu’à exécuter leur mission.
Flic aux méthodes parfois expéditives mais efficaces, Samad multiplie les descentes et les perquisitions aux quatre coins de la ville, espérant, avec la tête du parrain de la drogue qu’il a enfin identifié (un certain Naser Khakzad), obtenir une promotion. Même s’il n’est pas en odeur de sainteté dans la police de Téhéran, ses résultats incitent sa hiérarchie à ne pas totalement le brider dans sa traque. Le film passe de la vie de commissariat aux bidonvilles sordides squattés par les accros au crack, de la quête de Samad à la fuite de Naser, des prisons surpeuplées aux scènes de tribunal… Au gré des histoires entremêlées, osant des ruptures de rythme et d’étonnantes bifurcations de scénario, le réalisateur alterne un thriller plein de vivacité et de suspense avec une chronique sociale dont les digressions, découpées comme au scalpel dans le gras d’une société iranienne rarement montrée sous ce jour, la révèlent gangrenée par les trafics et la corruption.
Au passage, La Loi de Téhéran décrit un système judiciaire débordé, incapable d’endiguer le fléau de la drogue, et qui utilise sans états d’âme la peine de mort comme un régulateur de la délinquance. Thriller, polar, drame documenté, avec La Loi de Téhéran, Saaed Roustaee – dont ce n’est que le second long métrage, chapeau ! – tient sans faiblir son public en haleine, navigue avec brio entre les genres pour délivrer in fine un film noir d’une remarquable acuité.