Voilà que nous arrive – encore – un film sur la Foi. Ce Mystère obscur, insondable, qui fait tomber les murs, déplacer les montagnes, trouver un sens à sa vie. Nous sommes à l'orée des années 2000. Dans un coin paumé des États-Unis d'Amérique, à l'occasion d'un obscur cours de théâtre amateur, l'exubérant Tommy Wiseau, qui se rêve en acteur de génie, rencontre Greg Sestero, bellâtre introverti aux ambitions plus modestes mais auquel il a vite fait de monter le bourrichon : pour eux deux, ce sera Hollywood ou rien. Et s'il s'avère que c'est « rien », que l'Usine à rêves ne leur ouvre pas largement les bras, qu'à cela ne tienne, Tommy Wiseau, qui n'y connaît que pouic et n'a jamais écrit une ligne de scénario, ne sera pas seulement acteur mais également auteur et réalisateur (de génie, ça va de soi).
Se donner les moyens de vivre son rêve de cinéma, envers et contre tout et tous, à rebours de toute logique et toute raison. Tourner un film comme on fonce dans un mur, s'effondrer, se relever… et recommencer. James Franco, ici réalisateur et interprète, documente dans une comédie à la folie douce-amère, l'amour fou du cinéma en même temps que l'avènement de ce que ledit cinéma peut enfanter de pire. Toutes proportions gardées, on pense bien sûr à l'hommage que Tim Burton rendit naguère à Ed Wood, autre loser magnifique du rêve hollywoodien. De fait, le geste cinématographique, volontaire, farouche, de Tommy Wiseau qui, avec son film The Room, lui a enlevé le titre assez peu envié de « pire cinéaste du monde », a beaucoup à voir avec celui de son illustre aîné. Et comme Tim Burton, James Franco a l'intelligence de ne pas prendre de haut son sujet. De filmer avec beaucoup de tendresse – et de respect – l'entreprise désespérée du personnage étrange et fascinant qu'il incarne. Entreprise dont il ne cherche d'ailleurs même pas à expliciter les motivations : hormis une mégalomanie peu commune et un insatiable besoin d'amour, le héros sombre et tourmenté garde tout son mystère.
Tommy Wiseau, dont la fortune personnelle semble pouvoir financer toutes les lubies, se donne à corps perdu dans l'aventure. Paie cash le matériel, les studios, les techniciens, fait passer des essais à une foultitude de comédiens qui guettent l'occasion, eux aussi, de tenter leur chance. Tommy Wiseau n'y connaît rien, mais il s'entoure du mieux qu'il peut, baisse la tête et se lance sur la piste, tout schuss… Au fil des jours, le tournage se révèle à chaque prise plus improbable, toute l'équipe, à l'exception du principal intéressé, prenant conscience du naufrage inéluctable de l'entreprise. La comédie de cinéma vire alors subrepticement au mélo, puis au psychodrame. Tommy Wiseau se révélant beaucoup plus fragile qu'il ne le laissait paraître et, par effet boomerang, d'autant plus déterminé à mener à bien sa Grande Œuvre qui, il en est certain, fera de lui l'égal d'un Elia Kazan. Jusqu'à l'ultime seconde où, mis en face du fiasco indéniable, ce diable d'homme trouve encore au fond de lui, transformant en éclat de rire un ultime sanglot, la ressource de tourner la plaisanterie à son avantage.
Qu'on se rassure : de même qu'il n'était pas nécessaire (ni conseillé) de visionner les films fantastico-fauchés d'Ed Wood pour succomber aux charmes de celui de Tim Burton, on pourra (fera mieux de) se passer de la vision intégrale de The Room pour apprécier The Disaster artist. À partir de ce matériau improbable – une catastrophe sur pellicule à peine regardable –, James Franco réalise un très beau film, amoureux et pudique, sur la création. Cette impudeur qu'il y a à se mettre sous la lumière des projecteurs, vouloir se livrer, nu, physiquement ou métaphoriquement, devant un public.