Abou Leila

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Algérie, 1994. S. et Lotfi, deux amis d’enfance, traversent le désert à la recherche d’Abou Leila, un dangereux terroriste. La poursuite semble absurde, le Sahara n’ayant pas encore été touché par la vague d’attentats. Mais S., dont la santé mentale est vacillante, est convaincu d’y trouver Abou Leila. Lotfi, lui n’a qu’une idée en tête: éloigner S. de la capitale. Pourtant, c’est en s’enfonçant dans le désert qu’il vont se confronter à leur propre violence.

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SEMAINE DE LA CRITIQUE 2019

 Aux origines de la violence

“Ma génération a besoin d’évoquer la période du terrorisme en Algérie, dans les années 1990. Mais je voulais m’éloigner de la simple chronique sociale et politique pour mieux parler des fondements de la violence et avoir un point de vue à la fois plus humain et artistique. Cela me permet surtout d’aborder le vrai sujet qui m’intéresse : comment réussir à  surpasser un contexte violent quand on est émotionnellement fragile.” Amin Sidi-Boumédiène  commence par écrire un court métrage alors centré sur la fin d’Abou Leila telle qu’elle se présente  désormais. Quatre ans plus tard naît une première version du scénario introduisant le  personnage de Lofti et le road-trip du début. En 2016, il participe à l’atelier de la  Cinéfondation avec son producteur Yacine Bouaziz de Thala Film. C’est là qu’ils vont revoir Louise Bellicaud et Claire Charles-Gervais d’In Vivo Films, rencontrées précédemment à l’Open Doors de Locarno. “Nous sommes de la même génération, dans la même dynamique, nous en sommes à peu près au même moment de nos carrières. Nous avons eu tout de suite envie de nous lancer avec eux dans ce projet aussi ambitieux que prometteur et de travailler avec Amin”, résument les deux productrices. Le tournage s’est déroulé dans trois régions du désert algérien. “Le but était de varier les paysages pour donner une impression de long périple sans avoir besoin de multiplier les lieux, précise le cinéaste. Le plan de travail ultra serré nous a ensuite obligé à respecter le texte au maximum pour ne pas perdre de temps. La mise en scène était pensée avec précision mais il m’arrivait souvent de trouver l’inspiration définitive le matin même sur le plateau.”

Au milieu des années 1990, en pleine décennie noire en Algérie (marquée par les attentats sanglants des Groupes Islamiques Armés), un homme armé s’approche d’une voiture sur le point de démarrer et abat le conducteur. Arrivée d’un véhicule de police en patrouille, échange de coups de feu avec l’assaillant, qui réussit à prendre la fuite… Petit saut temporel, on retrouve deux hommes, Lofti et S. – personnage jamais nommé –, en route vers le Sud du pays, à la poursuite d’Abou Leila, un terroriste dont on finira par se demander s’il existe vraiment…
En distillant d’entrée ces quelques indices narratifs, le réalisateur Amin Sidi-Bloumédiène plonge le spectateur dans un bain de mystère qui perdure jusqu’à la fin du film. Climat énigmatique dont même la résolution finale ne livre pas toutes les clés, laissant la place à l’imagination et à l’intuition du spectateur.
C’est le tour de force de ce premier film, qui est l’un des plus forts et des plus originaux consacrés à la guerre civile algérienne. Loin des points de vue habituels sur le sujet, des pamphlets à charge ou des films réalisés avec trop de recul par des exilés, Abou Leila livre le regard d’un cinéaste qui a vécu adolescent dans cette Algérie à feu et à sang.
Amin Sidi-Boumédiène ne vient pas non plus de nulle part. Son film s’imprègne aussi du travail de quelques uns de ces confrères un peu plus âgés, à commencer par le défricheur Tariq Teguia qui, avec ses productions métaphoriques (Rome plutôt que vous, Inland, Révolution Zendj), a ouvert de nouvelles voies pour le jeune cinéma algérien. On retrouve notamment dans Abou Leila ce goût pour l’errance et la radicalité formelle : les protagonistes sont embarqués dans un road movie à la trajectoire incertaine, Lofti emmène son compagnon en voyage dans l’espoir de redonner un équilibre à sa raison vacillante mais la confusion mentale de S., qui semble persécuté par la réalité qui l’entoure, ne s’améliore pas. Au contraire elle finit même par contaminer le récit, provoquant des embardées narratives inattendues.
Des éclairs de violence récurrents viennent perturber le spectateur, le confrontant à la folie que la guerre civile a pu provoquer. En convoquant, au milieu du désert, des mythes antiques eux-mêmes empreints de violence, faisant resurgir l’animalité intrinsèque à l’humanité, le réalisateur explore au plus profond l’âme de tout un peuple plongé dans un cauchemar éveillé qui semble sans fin. Sublimement photographié, subtilement interprété, Abou Leila fera date, on en prend le pari. (A.S., Le Courrier de l’Atlas)
« La période de la “décennie noire” est essentielle pour moi et d’autres de ma génération car elle a constitué la toile de fond indépassable de notre jeunesse. Comprendre les fondements de cette période, c’est embrasser les causes profondes de cette violence qu’on a côtoyée de près et qui, de par les traumatismes causés à tout un peuple, nous a contaminés d’une façon ou d’une autre. Abou Leila se base sur des éléments simples : un décor quasi unique mais changeant (le désert), des personnages énigmatiques mais éminemment fragiles, des scènes de rêve traduisant le cheminement inconscient du héros. Mais surtout, malgré son aspect “thriller” et sa violence, le film est empreint d’une mélancolie certaine, visuelle et auditive, rappelant que la violence oublie toujours la beauté qu’elle est sur le point de gâcher. » (Amin Sidi-Boumédiène)