Un film en état de grâce. Solaire, d'une beauté radieuse, d'une sensualité enivrante. Écrit par le vétéran James Ivory (oui, le réalisateur un peu oublié de Chambre avec vue, Retour à Howards End, Les Vestiges du jour…) d'après le roman d'André Aciman (par ailleurs éminent spécialiste de Proust, ce qui n'est pas anodin), Call me by your name transcende un sujet qui aurait pu rester banal – et un ancrage dans un milieu très bourgeois qui peut au départ irriter – pour faire naître une magnifique et assez bouleversante histoire d'amour et pour incarner une véritable philosophie de la vie, basée sur l'esprit d'ouverture, la soif de découverte, la bienveillance fondamentale vis-à-vis des êtres et des événements.
Bercé par la langueur estivale de Crema, dans la campagne lombarde, Elio, brillant jeune homme de 17 ans, vif, joueur et volontiers fantasque, passe ses vacances dans une sublime villa familiale aux côtés de parents intellectuels, mère traductrice et père archéologue. Le père est américain, la mère française, et l'Italie est leur terre culturelle d'élection, lumineuse, riche de son histoire et de sa douceur de vivre. Le décor ainsi posé, écrin paradisiaque bercé par les notes de piano de l’adolescent prodige, installe le récit dans un hors temps propice aux expériences initiatiques sans contraintes apparentes. En ce début des années 1980, Elio profite d’un statut privilégié et d’une aisance naturelle qui fournissent à sa curiosité d’exceptionnelles conditions d’épanouissement.
Loin d’endormir le propos, le postulat de départ l’affranchit de toute faiblesse narrative. En écartant les barrières faciles et les clichés inhérents au sujet, le récit se concentre sur l’essentiel et permet à l’éveil sensuel, amoureux et sexuel du jeune homme de s’exprimer dans toute sa puissance. Si la découverte de l’homosexualité s’inscrit de fait au cœur du film, les craintes, la peur ou la culture du secret qui en découlent proviennent davantage de questionnements intimes que de règles sociales.
Alors qu’Elio entretient avec Marzia une relation amicale aux frontières floues, sa rencontre avec Oliver, un étudiant un peu plus âgé que lui venu en stage auprès de l'éminent spécialiste en culture antique qu'est son père, va progressivement bouleverser son existence et le propulser dans une zone de turbulences aussi exaltante que déstabilisante. En expérimentant la puissance de l’amour et du désir, le jeune homme plein d’assurance découvre en lui une fragilité qu’il ne connaissait pas. Demeurant audacieux, parfois arrogant, mais devenu vulnérable, il franchit comme tout adolescent le gué menant de l’enfance à l’âge adulte.
La subtilité de l’approche de Luca Guadagnino se développe sur la durée. Après avoir installé ses personnages dans un confort enviable, il densifie le récit et transforme progressivement la romance en vibrante histoire d’amour. Tirant parti de la lumière naturelle, brûlante le jour et contrastée la nuit, profitant de la beauté italienne (nature luxuriante, sensualité de l’architecture, saveur des mets…), le cinéaste dévoile les corps, filme les peaux et enveloppe le récit d’une sensualité prégnante. L’habillage bourgeois cède alors le pas à un flux bouillonnant qui évoque le sexe sans détours et capte les infimes manifestations du désir amoureux jusqu’à son point d’incandescence… Les comédiens sont tous formidables – et beaux à se damner pour ce qui est des deux principaux –, les ambiances musicales sont parfaitement choisies, la mise en scène d'une élégance fluide… la grâce vous dis-je.