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C’est avec L’OMBRE DES FEMMES le dernier opus de Phillipe Garrel que s’est ouverte cette édition 2015 de la Quinzaine des réalisateurs qui restera dans les annales comme l’une des plus prestigieuses et bien supérieure à la sélection officielle cette année.C’est avec L’OMBRE DES FEMMES le dernier opus de Phillipe Garrel que s’est ouverte cette édition 2015 de la Quinzaine des réalisateurs qui restera dans les annales comme l’une des plus prestigieuses et bien supérieure à la sélection officielle cette année.
On ne sera pas étonné de voir Philippe Garrel filmer les amours désaccordés. Depuis Marie pour mémoire en 1967, il n'a cessé de le faire. Tourments affectifs et perte des idéaux révolutionnaires jalonnent la filmographie de ce cinéaste de l'intime comme des leitmotivs dont les films sont une variation permanente. L'Ombre des femmes en est une version gracieuse et inspirée. Garrel s'y montre moins grave et moins lyrique qu'à l'accoutumée et filme le couple en crise de Pierre et Manon avec une frontalité réjouissante. Entre infidélités et passion irréductible, les sentiments les plus complexes y sont exposés avec une clarté et une lucidité étonnante. Dans la compréhension des choses de l'amour, Garrel atteint une justesse qui confère au récit une véritable existence.
C'est avec le ton de l'évidence qu'un narrateur (la voix-off de Louis Garrel dit un texte particulièrement bien écrit) nous rapporte l'histoire de Pierre et Manon. Il est réalisateur de films documentaires et elle est devenue son assistante. Au cours du film qu'ils préparent ensemble, Pierre rencontre une jeune stagiaire, Elisabeth, qui devient sa maitresse. Par insuffisance, Pierre décide de ne rien dire à Manon. Il profite avec Elisabeth des plaisirs de la chair jusqu'au jour où celle-ci découvre que la femme de Pierre a, elle aussi, un amant. D'abord hésitante, Elisabeth ressent finalement le besoin de le dévoiler à Pierre. Or pour Pierre, lui-même infidèle, l'idée que sa femme le trompe est parfaitement inconcevable. Et voilà le couple engagé dans une confusion sentimentale faite de trahisons et de rapiéçages, de petits mensonges et grandes peines amoureuses.
Sans trop dévoiler la suite de l'intrigue, la peinture qui est faite des hommes n'est pas particulièrement avantageuse. Les femmes réservent au contraire beaucoup plus de lucidité et de courage. Garrel, pourtant, ne cherche jamais à porter de jugement sur les agissements de Pierre et Manon : leurs choix sont posés là, comme des états de fait. Car la matière même du cinéma de Garrel depuis toujours vise à comprendre comment les êtres pansent leurs plaies amoureuses, comment l'on vit avec cette « cicatrice intérieure », pour reprendre le beau titre d'un autre de ses films. Au fond, l'effervescence des nouveaux désirs, les amourettes de passage : tout cela n'est qu'une étincelle bien fugace. L'hésitation sentimentale chez Garrel est avant tout une douleur, la douleur de ceux qui regardent leur amour pour l'autre en train de tomber.
L'élégance et la pudeur de L'Ombre des femmes évoquent parfois le cinéma de Truffaut. Garrel ne cède pourtant rien au caractère de son style et de ses façons de faire. Adepte de la pellicule et du noir et blanc contrasté, il tourne ses films dans l'ordre du récit, en se contentant toujours de la première prise. Le jeu des acteurs y gagne en sincérité, tout en préservant le charme de la première fois. Le trio amoureux à l'écran est à ce titre remarquable : Stanislas Merhar, tout en retenue dans son personnage d'amant médiocre et de mari insatisfait ; Léna Paugam, la maîtresse clairvoyante ; et surtout une Clotilde Courau lumineuse, tour à tour éblouissante et véritablement affectée. Avec économie et concision, Philippe Garrel nous emmène dans son cinéma de l'affect pur où la vie apparaît comme nue. C'est résolument romantique – sûrement un peu fou – et profondément beau.