Fils de modestes émigrés italiens, antifascistes réfugiés à Marseille, Ivo Livi dit Yves est contraint de gagner sa vie dès l'âge de onze ans. Formé à la dure école de la rue, il exerce une multitude de petits métiers qui lui permettent d'acquérir une endurance et un perfectionnisme dont il ne se départira jamais. C'est à force d'entendre sa mère lui crier de la fenêtre "Ivo, monta ! " que le jeune homme se choisit le pseudonyme de "Montand".
Fou du Far-West, de jazz et de Charles Trénet, il devient chanteur de banlieue et multiplie les tournées qui le mèneront à Paris en 1944. A Bobino puis au Moulin-Rouge, Edith Piaf le remarque et le prend sous son aile. C'est elle qui le guidera vers le septième art : un an après leur rencontre, il est tête d'affiche à ses côtés au théâtre de l'Etoile et tourne avec elle son premier film, Etoile sans lumiere réalisé par Marcel Blistene.
En 1946, Marcel Carné le choisit pour interpréter un rôle initialement prévu pour Jean Gabin dans Les Portes de la nuit. Touchant de maladresse, le jeune acteur ne s'impose pas vraiment. Alexander Esway utilisera sa gaucherie pour L'Idole en 1947, sans parvenir encore à rehausser son image de marque. Il faudra attendre 1953, et le rôle d'un dur à l'américaine dans Le Salaire de la peur de Henri-Georges Clouzot, pour qu'Yves Montand se distingue enfin. Le film est couronné à Cannes.
Même s'il accepte de changer de registre en jouant les Méphisto dans Marguerite de la nuit de Claude Autant-Lara, c'est dans les rôles de prolétaire que le jeune acteur est à son aise. En Italie, il interprètera un chasseur de loups dans Hommes et loups de Giuseppe de Santis et un pêcheur à l'explosif dans La Grande route bleue de Gillo Pontecorvo. Ouvrier électricien dans Premier mai, il joue également le rôle d'un fermier victime de l'intolérance dans Les Sorcieres de Salem en 1957, au côté de Simone Signoret devenue sa femme en 1951. Il y obtient le prix de la meilleure interprétation masculine en 1957 au Festival International du Film.
Entre Montand et le cinéma, le déclic n'a néanmoins pas encore eu lieu : le chanteur continue le music-hall et les tournées à l'étranger. C'est lors de son triomphe à Broadway qu'il rencontre George Cukor qui lui propose de jouer en 1960 dans Le Milliardaire avec Marilyn Monroe. Si le film est un échec, Montand y fait une belle prestation.
Sa rencontre cinématographique décisive se produira en 1964, lorsqu'un jeune réalisateur nommé Costa-Gavras fait appel au couple Yves Montand-Simone Signoret pour son premier long-métrage, Compartiment tueurs. Suivent Z qui dénonce implicitement la dictature militaire sévissant en Grèce puis L'Aveu, témoignage dur et violent sur les purges staliniennes en 1969. "C'est de là, que date mon véritable et total engagement pour le cinéma", affirmera Montand. Avec Costa-Gavras, il s'est passé quelque chose. J'ai découvert plus qu'un metteur en scène, un complice, qui a décelé ma vraie personnalité." Homme de conviction, l'artiste se révèle dans ce cinéma engagé : il décide alors d'abandonner le récital pour se consacrer exclusivement au cinéma.
Equilibré et mûri, il va promener sa quarantaine dans des rôles solides et humanistes tel que celui d'un militant communiste espagnol désemparé dans La Guerre est finie d'Alain Resnais ou d'un cinéaste gauchiste récupéré par le système dans Tout va bien de Jean-Luc Godard. Autodidacte et touche-à-tout, Yves Montand tourne également dans des policiers sans concessions comme Le Cercle Rouge de Jean-Pierre Melville en 1971 ou Police Python 357 d'Alain Corneau en 1976. Alain Corneau et Pierre Granier-Deferre–avec Le Fils- modèleront encore un peu cet homme capable de tout jouer. Montand s'essaiera ainsi aux fantaisies de Philippe de Broca dans Le Diable par la queue en 1968 ou au burlesque de Gérard Oury dans La Folie des grandeurs en 1972. Ces petites incursions moins convaincantes le mèneront à la troisième grande rencontre de sa vie cinématographique : après Edith Piaf et Costa-Gavras, Claude Sautet apporte une autre touche au portrait de Montand. Dans César et Rosalie, il hausse son personnage de ferrailleur au grand coeur aux dimensions de l'archétype. Avec Claude Sautet dans Vincent, François, Paul et les autres et Garçon !, Montand se libérera.
En 1985, il perd la femme de sa vie, Simone Signoret avec qui il formait le couple légendaire du monde du spectacle en France. Dès 1986, il laisse place aux drames paysans de Marcel Pagnol revus par Claude Berri avec Jean de Florette et Manon des Sources. Montand y joue le Papet, image du grand-père provençal que l'on retiendra de lui. IP5 de Jean-Jacques Beineix en 1991 est son dernier film. Il décèdera juste après la fin du tournage.
Fasciné et même obsédé par la politique, Montand est un homme pétri de contradictions, hanté par ce que Miguel de Unamuno a appelé " le sentiment tragique de la vie." Type populaire, quasi primaire, il se donne, en tant qu'acteur, le devoir de réinventer l'instinct à chaque seconde. Pensant à ses films des semaines avant le tournage, il disait travailler sans relâche afin que le travail ne soit plus perçu par son public, cette "femme pure" envers qui "la moindre maladresse" [peut] tout ficher par terre sans espoir de la rattraper".