À moins d'être frappé d'une souche particulièrement virulente du virus de l'immobilisme, il y a en chacun de nous une fascination – qui reste souvent inassouvie – pour les territoires lointains, encore inexplorés, pour ces contrées du globe encore vierges de toute civilisation. Au fil des décennies, ces terres d'aventure absolue se sont raréfiées… Mais il y a un siècle à peine, une immense partie du monde restait à découvrir, construisant la légende des explorateurs intrépides, dont les exploits enflammaient les imaginations. Les périples extraordinaires de ces aventuriers ont nourri bien des romans exaltants (Le Monde perdude Conan Doyle, le créateur de Sherlock Holmes, pour n'en citer qu'un) qui firent le bonheur des enfants rêveurs, mais aussi la bande dessinée (Corto Maltese…) et bien entendu le cinéma (King Kong…). Le nouveau et magnifique film de James Gray s'inscrit dans cette tradition épique en s'attachant à l'incroyable et pourtant bien réelle destinée de Percival Harrison Fawcett.
Percy Fawcett est, au début du xxe siècle, un jeune officier britannique issu d'une famille quelque peu déchue, en quête de reconnaissance et de gloire. Comme beaucoup, il a fait ses classes dans les colonies britanniques, en Inde et en Afrique, où il a acquis de solides notions de topographie. C'est grâce à elles qu'il se voit proposer en 1906, par la très prestigieuse Société de Géographie britannique, une mission qui va lui permettre de redorer le blason familial : se rendre aux frontières amazoniennes de la Bolivie et du Brésil, alors en conflit territorial, et cartographier les limites des deux pays. Une expédition hautement risquée à l'époque, au cœur d'un territoire hostile, mais qui va prendre une dimension inattendue quand, au détour d'une rivière, Percy va trouver par hasard ce qu'il croit être les vestiges d'une cité perdue, alors que le dogme scientifique affirme que dans ces recoins amazoniens, aucune civilisation amérindienne avancée n'a pu se développer – parfait prétexte à la justification de la colonisation. Prouver la réalité de ces vestiges va devenir l'obsession de son existence, au péril de sa vie, au risque de détruire son mariage – splendide personnage que celui de son épouse, forte, déterminée, bouleversante – et de ne voir qu'à peine grandir ses enfants.
Formidable film d'aventures, The Lost City of Z est aussi une réflexion sur la fascination de l'inconnu, sur le vertige qu'elle peut faire naître. Quand on voit le film, on ne peut pas ne pas penser à l'extraordinaire roman de Joseph Conrad, Au cœur des ténèbres, qui inspiraApocalypse now, ou au génial Aguirre ou la colère de Dieu, de Werner Herzog, qui racontait l'errance désespérée de conquistadors espagnols en territoire amazonien. Le magnifique travail du chef opérateur Darius Khondji donne à la forêt une splendeur inquiétante. Mais le film est aussi le portrait superbe d'une génération perdue, celle qui, à l'époque victorienne, portait les espoirs d'un empire dominateur avant de connaître les horreurs de la Grande Guerre et qui jamais ne s'en releva, préférant se perdre dans l'inconnu pour mieux narguer la mort à laquelle elle avait échappé.
Un grand film de plus à l'actif de James Gray, le sixième en vingt-deux ans d'une filmographie impressionnante : Little Odessa, The Yards, La Nuit nous appartient, Two lovers, The Immigrant et aujourd'hui The Lost City of Z.