Toute l’industrie du cinéma l’attend avec impatience depuis plusieurs semaines où le nombre d’entrées plutôt en berne depuis la réouverture des salles a fait prédire à certains la chronique d’une mort annoncée du cinéma. Le cinéma en a vu d’autres et il y a fort à parier qu’il s’en remettra. Remercions Warner de sortir ce blockbuster avant les Américains.
Qu’il s’agisse d’Inception, d’Interstellar, de Dunkirk ou de The Dark Knight, Christopher Nolan tient à garder jalousement ses secrets jusqu’au tout dernier moment. À quelques jours de la sortie internationale de Tenet, mercredi, le cinéaste a enfin levé un peu le voile sur ce thriller d’espionnage intrigant, où la notion du temps emprunte une forme plus originale.
« Tenet» en français, c’est un principe, une doctrine. Choisi comme titre par Christopher Nolan parce qu’il s’agit d’un palindrome, «Tenet» suit le Protagoniste (John David Washington) alors qu’il cherche, avec Neil (Robert Pattinson), à sauver le monde des visées machiavéliques d’Andrei Sator (Kenneth Branagh). Sa femme, Kat (Elizabeth Debicki), dont il est séparé, a également un rôle à jouer dans cette histoire, non pas de voyage dans le temps, mais d’inversion du temps. Et il convient de laisser la suite nébuleuse pour ne rien gâcher du plaisir de la découverte. Le cinéaste a eu l’intelligence de faire appel à des acteurs (Michael Caine fait même une rapide apparition) en mesure de se livrer à des cascades impressionnantes, dans le cas de John David Washington et de Robert Pattinson, ou de rendre leur personnage hautement crédible, comme Kenneth Branagh et Elizabeth Debicki. C’est d’ailleurs cette dernière qui sort du lot, sa Kat étant le point d’ancrage émotionnel du long métrage. Touffu et dense, «Tenet» est aussi une vitrine de la maîtrise exercée par Christopher Nolan sur tous les outils technologiques à sa disposition. Le mélange des formats IMAX et 70 mm de Hoyte van Hoytema, son directeur de la photographie, lui permet de filmer les splendides décors (celui d’un champ d’éoliennes en pleine mer est à couper le souffle de magnificence et de solitude) ainsi que les nombreuses scènes d’action parfaitement réussies. De plus, la majorité de ces dernières ne doivent rien aux effets spéciaux par ordinateur. Celle de l’avion est mémorable. Le montage sonore est également à souligner, le compositeur Ludwig Göransson (qui a remplacé Hans Zimmer, occupé par le «Dune» de Denis Villeneuve) faisant de la musique une extension naturelle des bruits de ce qui se déroule à l’écran.
Visuellement hyper léchée, «Tenet» est la première superproduction estivale à prendre l’affiche depuis le début de la pandémie de COVID-19. On y retrouve, comme dans un rêve, un reflet de la vie «d’avant» sans distanciation physique ni consignes sanitaires. En mêlant science-fiction et action, Christopher Nolan offre également – et surtout? - une dose bienvenue d’évasion, indispensable tant pour les cinéphiles en manque de divertissement à grand déploiement que pour l’industrie grandement à la recherche de revenus.
D’où vient, alors, cette retenue qui empêche d’adhérer pleinement à la proposition du réalisateur? Est-ce la surenchère d’images, de sons, d’informations, d’explosions, de cascades, de personnages, de sous-intrigues et autres après un si long silence? Est-ce le fait que la réflexion de Christopher Nolan sur le temps, son avancée ou son recul, paraît surfaite pour ne pas dire un tantinet prétentieuse? Car une fois la poussière des presque 150 minutes retombée, que reste-t-il d’inoubliable et de réflexion profonde?
«Tenet» fait donc penser à un repas trop copieux après une longue disette. Est-ce dire qu’il faudrait remettre le couvert pour l’apprécier pleinement? Assurément.