C'était peut-être cela, la jeunesse. Croire que le monde est fait de choses inséparables : les hommes et les femmes, les montagnes et les plaines, les humains et les dieux, l'Indochine et la France... » La voix de Catherine Deneuve s'élève. Et on la voit, en deuil, voiles noirs flottant au vent, debout dans la jonque funéraire qui transporte, côte à côte, les cercueils d'un prince et de sa femme. Eliane est une Française installée depuis toujours en Indochine. Ses meilleurs amis viennent de périr en mer. Dans sa main, elle tient fort serrée celle d'une petite Annamite de 5 ans, Camille, la fille des disparus. Eliane aussitôt décide de l'adopter. Autour de la jonque, des dizaines d'embarcations, chargées de musiciens et d'officiants en grande tenue, descendent le fleuve. L'Indochine et la France. Camille et Eliane. C'est la belle idée de ce film : nous faire suivre, pendant deux heures quarante, les destinées d'une poignée de personnages, des années 30 aux accords de Genève de 1954. Et mêler leur histoire à celle d'un pays qui se libère. Toile de fond : la montée des révoltes nationalistes et communistes, dans le futur Vietnam. Décor : les paysages exotiques de l'ancien paradis colonial français. Et, à la fin, Eliane qui perd Camille, comme la France perd l'Indochine... Le film a été écrit pour Catherine Deneuve. A l'image des premières séquences, elle en est la figure de proue. Eliane, femme riche et autoritaire, gère d'une main de fer une plantation d'arbres à caoutchouc. L'arrivée de Jean-Baptiste (Vincent Perez), bel officier de marine qui débarque un jour dans sa tenue immaculée, va changer sa vie et faire éclater les passions dans un pays déjà en ébullition. Car le parti communiste vietnamien vient d'être fondé. Les révolutionnaires commencent à s'attaquer aux mandarins, qui soutiennent le pouvoir colonial français. Dès qu'il voit Eliane, Jean-Baptiste est séduit. Elle est très belle, cette rencontre au milieu des arbres, dans la brume matinale. Et ce malaise du jeune homme, qui, devant cette femme fascinante, se met soudain à saigner du nez, pareil à un enfant bouleversé. Comme dans les grands feuilletons, la belle propriétaire terrienne hésite d'abord. Avant de succomber au charme de ce marin très romantique, qui a l'ambition de « découvrir le monde », elle lui dit : « Il est encore temps que notre histoire ne commence pas. » Dialogue de roman-photo ? Bien sûr. Indochine n'est que ça : un roman-photo. Mais un roman-photo au romanesque réussi et séduisant. Quand Régis Wargnier filme une scène de passion, Jean-Baptiste et Eliane sont dans une superbe voiture. Il tombe une pluie diluvienne. Le tonnerre gronde. Les éclairs zèbrent la nuit... L'histoire, elle aussi, s'embrase. La petite princesse annamite a grandi. Elle a maintenant 16 ans. Sa personnalité, brusquement, se révèle. Elle tombe, elle aussi, amoureuse de l'officier au visage juvénile et devient la rivale de sa mère adoptive. Elle choisit le communisme, renie son éducation française, va jusqu'au meurtre... Dans des paysages grandioses, on assiste à sa longue marche aux côtés de Jean-Baptiste. Elle l'a rejoint dans des îles perdues, où il a été exilé pour raisons disciplinaires. Lui découvre le peuple et la beauté de ce pays où il était venu en conquérant. Régis Wargnier n'a peut-être pas toujours le souffle et le lyrisme d'un David Lean. Il vient en tout cas de donner à Catherine Deneuve élégante, racée, toute en douleur contenue un de ses plus beaux rôles. Les personnages secondaires Jean Yanne, épatant en directeur de la Sûreté, et surtout Dominique Blanc, dans un grand numéro à la Suzy Delair sont remarquablement dessinés. En jonglant habilement avec les conventions du romanesque, Régis Wargnier vient de réaliser son meilleur film.