FESTIVAL DE CANNES - COMPÉTITION
Les arnaqueurs
Doublement primé au Festival du film asiatique de Deauville pour Joint Security Area en 2001, le réalisateur sud-coréen Park Chan-wook est venu pour la première fois en compétition à Cannes avec Old Boy qui a reçu le grand prix du jury en 2004, avant d’obtenir le prix du jury en 2009 pour Thirst, ceci est mon sang. Mademoiselle est adapté du roman Du bout des doigts de Sarah Waters (Éd. Denoël), transposé pour l’occasion de l’Angleterre victorienne à la Corée sous occupation japonaise des années 1930. Parce que, explique le metteur en scène, “en réfléchissant à une société où la noblesse existe encore, ainsi que le métier de servante, où un personnage collectionne des objets rares, etc., cela semblait le bon choix. C’était une époque où certains aspects traditionnels demeuraient, mais où la modernité commençait à prendre le dessus”. Pour porter à l’écran cette histoire sulfureuse, Park Chan-wook a mis au point un dispositif technique sophistiqué. Il a même envisagé de le tourner en 3D, avant d’y renoncer pour des raisons financières, mais “les mouvements de caméra se substituent aux effets que j’aurais souhaités”, précise-t-il. En effet, bien qu’il continue à préférer la pellicule, “en tournant en numérique, nous avons pu nous permettre d’utiliser un objectif anamorphique”, poursuit-il. Résultat, “l’image ainsi créée est assez unique et me semblait adaptée au décor d’époque”.
L'empire de la passion
Voilà un thriller érotique et historique subliment beau, divinement intelligent, délicieusement alambiqué, un véritable joyau comme on en voit rarement. Au départ il y a l’œuvre de la romancière britannique Sarah Waters, Du bout des doigts, qui situait son action dans le Londres victorien des années 1860. L'histoire d'une jeune orpheline des classes miséreuses qui croyait voir son avenir assuré grâce à une machination par laquelle elle devait convaincre une jeune héritière d'épouser un beau garçon a priori bien sous tout rapport, en fait un escroc déguisé en aristocrate, bien décidé à dépouiller la donzelle une fois marié. Le réalisateur coréen Park Chan-wook a adoré le roman et a décidé de le transposer dans la Corée des années 1930, alors sous occupation japonaise.
Sookee vient d'être embauchée pour s'occuper de Hideko, une jeune héritière japonaise qui vit dans un immense et inquiétant manoir aux côtés de son oncle et tuteur, un homme irascible et inquiétant, un bibliophile obsessionnel qui semble principalement obsédé par sa collection de livres rares. Très vite la jeune servante découvre une jeune aristocrate totalement dépressive qui semble cacher un lourd secret et souffre de sa réclusion dans cette prison dorée…
On est tout de suite impressionné par la mise en scène et le choix des décors qui constitueront, tout au long de cette intrigue palpitante, le théâtre des cruautés. Il y a déjà ce manoir incroyable dont l'architecture est un mélange étonnant de construction victorienne ou gothique occidentale et d'aménagements japonais traditionnels. Ainsi Hideko passe le plus clair de son temps dans une chambre à la décoration surchargée qui pourrait être celle d'une jeune aristocrate anglaise, tandis que Sookee dort dans l'austérité de ce qui pourrait être un placard à futon derrière un paravent. D'ailleurs beaucoup de choses se découvrent derrière un panneau entrouvert ou par le trou d'une serrure. Et il s'en passe des choses, derrière les portes, mais on ne vous en dira rien… sinon que les deux jeunes femmes vont se rapprocher dangereusement.
Mais le lieu le plus incroyable reste la bibliothèque du maître des lieux, inquiétante, le plus souvent fermée : mélange fascinant de bibliothèque à l'ancienne et d'espace de méditation japonais, le tout magnifié par les cadrages sublimes d'une image en format large. Même les somptueux jardins japonais et leurs fameux cerisiers fleuris ont une connotation morbide, car on peut se pendre à leurs branches…
L'intrigue est – pour notre plus grand plaisir – tout à fait tortueuse et les manipulateurs seront à leur tour manipulés et les manipulés manipulateurs seront peut être une nouvelle fois manipulés… Nous sommes pris dans les rêts d'un récit à la Rashomon (référence au chef d'œuvre de Kurosawa), la même action étant décrite selon trois point de vues, suspense assuré jusqu'à la dernière séquence.
Park Chan-wook, abandonnant la violence assumée de ses films précédents (le plus célèbre et le plus réussi étant sans doute le terrible Old boy), livre un thriller avant tout psychologique, magnifique d'élégance et de classicisme raffiné. Mais que les fans du maître du polar coréen soient consolés, il nous a quand même réservé quelques scènes croquignolettes qui ne décevront pas les lecteurs du Divin Marquis.