Dès les premières images on retrouve avec un bonheur intense Aki Kaurismäki et son univers de cinéma muet rehaussé de couleurs saturées, de bande son rockabilly et d’accessoires issus au plus tard des années 60. Mais L'Autre côté de l’espoir est bien ancré dans notre époque et nous propulse dans une actualité des plus urgentes au travers de deux personnages aussi fabuleux qu’inoubliables : Wikhström, Finlandais pépère en train de mettre sa vie de quinquagénaire sur de nouveaux rails, et Khaled, jeune réfugié syrien échoué à Helsinki et demandeur de papiers. Avec son humour pince-sans-rire, le cinéma de Kaurismaki a toujours été l’abri des laissés-pour-compte, des prolétaires, des petites gens. Aujourd’hui, il accueille très naturellement un personnage de réfugié avec, au fond, cette idée lumineuse que ce qu’il peut arriver de mieux aux uns dans leur quête du bonheur, c’est sûrement de rencontrer l’autre.
Impossible de ne pas penser à Chaplin en voyant L’Autre côté de l’espoir : la même générosité intemporelle, la même alchimie du tragique et du rire, la même pertinence politique aux côtés des opprimés en tous genres. Sans une once d’effusion, sans le moindre angélisme, Aki Kaurismäki amène deux itinéraires opposés à se croiser et réalise un film truffé de lucidité, jamais aussi drôle que lorsqu’il est sérieux, vertigineux d’intelligence et d’humanité.
Enseveli sous un tas de houille, couvert de suie dans la nuit noire du port d’Helsinki, il n’a pas de nom, pas de visage, pas d’identité. Aux yeux de la ville qu’il parcourt, il est une énigme. Dans le cinéma du finlandais, il est entré comme chez lui : faux-frère de L’Homme sans passé (tête bandée et amnésique), complice par son vêtement souillé de tous les ouvriers kaurismakiens. Il faut attendre un bon moment avant qu’une halte aux douches publiques ne le lave de son anonymat. Et ce n’est que plus tard encore, lors de l’audition pour sa demande d’asile, que Khaled racontera son histoire, digne et sans sentimentalisme.
En parallèle, Wikhström (interprété par le génial Sakari Kuosmanen, habitué du cinéma de Kaurismäki) vient de quitter sa femme alcoolique sans un mot (quelle scène !) et il est bien décidé à se débarrasser des fardeaux de sa vie passée. À commencer par son boulot de représentant en chemises. Une fois son stock 100% nylon refourgué, il pourra réaliser son rêve : devenir patron d’un petit restaurant. Un bon filon, comme lui confie sa vieille cliente : « un métier où quand les affaires vont bien, on boit ; et quand elles vont mal, on boit aussi ». L’établissement convoité est en perte complète de vitesse. Qu’à cela ne tienne, Wikhström achète et récupère du même coup les trois employés : un cuisinier, un portier et une stagiaire. Auxquels s’ajoute vite un quatrième qui occupait indûment le local à poubelles du restaurant : Khaled.
Autant dire que cette aventure ne sent pas du tout la « success story ». La petite merveille que nous offre Kaurismäki est bien plus modeste et vraisemblable. La force des personnages est de ne jamais demander à l’autre plus qu’il ne peut donner. Comme si rien ici n’était fait par idéal, mais plutôt par évidence et par honnêteté. Qui retrouvera Myriam, la sœur que Khaled a perdu dans son exil à travers l’Europe ? Qui montrera à Wikhström l’horizon réel de son bonheur ? Façonné dans des lumières incroyables dont seul Kaurismäki a le secret, redoutable par son économie de moyens et de mots, L'Autre côté de l’espoir déploie avec un charme fou son humour flegmatique, sa vision du monde légèrement désinvolte et pourtant profondément empathique.