QUINZAINE DES RÉALISATEURS 2017
Le cul entre deux pères
Ce troisième long métrage de Carine Tardieu a de nouveau été écrit avec Michel Leclerc, puis, dans un deuxième temps, avec Raphaële Moussafir. Mais le processus d’écriture a été long, la cinéaste voulant aborder le thème du père, tout en ne sachant pas au départ par quel bout le prendre. "J’ai un peu erré autour du sujet pendant deux ans. Et puis un ami m’a raconté une histoire personnelle dont je me suis inspirée. À partir de ce moment, on est partis sur une nouvelle étape d’écriture qui a duré entre un an et demi et deux ans." Carine Tardieu n’aime pas imaginer son casting très en amont, de peur d’être déçue ou de ne pas être assez nourrie. "Avec mes coscénaristes, nous avons mis au point une technique. Nous pensons à des acteurs disparus, comme ça, on est sûr qu’on ne pourra jamais leur proposer le rôle. Et comme je me suis beaucoup nourri aux films de Claude Sautet, j’ai pensé à l’énergie d’Yves Montand dans ses films." Un personnage qui sera en fin de compte confié à François Damiens. Ôtez-moi d’un doute a été de nouveau produit par Karé Productions. Le tour de table a réuni Canal+, France 2, des Sofica adossées, SND sur tous les mandats, ainsi qu’une coproduction belge avec U Media pour un financement de près de 4,5€. Et la sélection est un vrai plus. "Cela assoit un label qualitatif pour un film qui a un potentiel populaire, dans la veine de films comme Les garçons et Guillaume, à table !, Camille redouble, Adieu Berthe ou Le nouveau testament, qui ont été de telles réussites que cela nous donne confiance (et ça met la pression !). Et nécessairement, ça aura également un impact positif sur les ventes internationales", soulignent les producteurs.
Il y a des situations, des métiers, comme ça, qui vous titillent immédiatement la curiosité. Démineur, instantanément, on pense : méticuleux et casse-cou. Un job qui demande autant d'inconscience (mais qui peut avoir envie d'aller chatouiller sous le ventre les vestiges explosifs des dernières guerres, découverts sur les plages ?) que de précision, de finesse, de sang froid, d'habileté et de diplomatie. Erwan est démineur. Façonné par et pour son travail, qu'il exerce le long de la côte bretonne au gré des découvertes de mines en mer ou dans les dunes, Erwan abrite donc une âme d'orfèvre dans un corps massif, granitique, taillé pour résister aux tempêtes comme au souffle des grenades. Ça, c'est côté boulot. Après, on ne va pas se mentir, en matière de finesse, d'habileté et de diplomatie, il est quand même vachement plus à son aise avec la dynamite – aux réactions somme toute assez basiques – qu'avec ses contemporains, beaucoup plus complexes à comprendre, délicats à manier – et quasiment impossible à désamorcer.
Or notre Erwan, veuf, taiseux, habitué à devoir tenir dans la tempête, va devoir aller puiser des ressources insoupçonnées loin au fond de lui, car la situation est explosive. Premier étoc en vue, la Faculté (mandatée par la compagnie d'assurance) décide que son vieux marin-pêcheur de père, à la santé déclinante, est un danger potentiel en mer et doit dorénavant se résoudre à rester à quai. Un verdict auquel l'ancêtre n'envisage pas de se rendre sans combattre. À tribord, un stagiaire cataclysmique, genre Hrundi V. Bakshi (la catastrophe ambulante interprétée par Peter Sellers dans The party), qui lui a été fourgué par les services sociaux, menace à force de maladresse de ruiner la petite entreprise de déminage. Au milieu, à son grand désespoir de grand-père en devenir, sa testarde de fille se prépare à donner naissance à un enfant en se fichant éperdument de savoir qui en est le géniteur. Et pour couronner le tout, à l'occasion d'un test ADN sensé prévenir tout risque de maladie génétique pour le futur bébé, Erwan découvre à pas loin de 50 balais que son père, son cher vieux papa, n'est pas, ne peut pas être son père. Pas l'ombre d'un chromosome en commun. De quoi vous lézarder le plus compact des menhirs…
Tous les ingrédients pour faire pleurer Margot dûment répertoriés, Carine Tardieu fait un pas de côté. Comme elle l'a expérimenté précédemment avec succès (La Tête de maman, Du vent dans mes mollets), elle détricote prestement l'écheveau de la tragédie mélodramatique à forte teneur lacrymale en gestation. Et, avec une formidable légèreté, un sens consommé du rythme et un talent très sûr pour les dialogues qui font mouche, elle nous mitonne une très délicate comédie, pour raconter subtilement la réelle gravité de la situation (la recherche de paternité tardive, l'errance émotionnelle du démineur) et les questions, essentielles, qui en découlent : qu'est-ce que l'amour filial ? Qu'est-ce que la famille ? Que veulent dire les liens du sang ? Qui est le père d'Erwan ? Pour citer Pagnol : « Celui qui a donné la vie, ou celui qui a payé les biberons ? » Ou tout simplement celui qui aime… ?
Pour corser l'affaire, entre rapidement dans la danse un supposé père naturel, vieux militant ronchon (qui a trouvé malin d'appeler son chien Pinochet !), lui-même heureux géniteur d'une possible demi-sœur des plus séduisantes – le jeu de cache-cache généalogique se doublant d'un marivaudage à haut risque puisqu'à la lisière de l'interdit. Un soupçon de gravité, un charme ravageur, une drôlerie revigorante, un vrai regard amoureux sur ses personnage : le film de Carine Tardieu, garanti 0% de matières lourdingues et sans misanthropie à la mode, servi par un casting aux petits oignons, est de ceux qui vous rendent durablement le sourire, vous font considérer vos voisins, la vie avec bienveillance. Bref, précipitez-vous : de la belle comédie, efficace, intelligente et généreuse, c'est si rare de ce temps !