On craignait un peu le pire de cette évocation d’un personnage mythique, François Vidocq, par Jean-François Richet dont on dira en usant d’un doux euphémisme qu’il fut inconstant dans sa filmographie. Richet, c’est un premier film génial, État des lieux, autour d’un personnage d’ouvrier déclassé en colère, un authentique film marxiste qu’on pourrait montrer aujourd'hui comme un manifeste aux gilets jaunes. Et puis Richet s’est beaucoup laissé aller pour céder à des réflexes hollywoodiens, à des facilités pour des œuvres largement moins stimulantes.
Mais voilà, quand on a eu du génie un jour, même si c’était il y a 20 ans, on peut le retrouver et puis le bougre avait quand même fait un chouette diptyque sur Mesrine avec Vincent Cassel. Et il revient avec un putain (pardon, c’est le cri du cœur) de grand film historique populaire sur un incroyable personnage que longtemps j’ai cru de fiction alors qu’il était bien réel. Vidocq, bagnard sous l’Empire, roi de l’évasion qui devint par des circonstances hautement improbables super-flic puis chef de la Sûreté. Un homme né sous Louis XVI, puis soldat dans les armées révolutionnaires (il participa aux batailles de Valmy et Jemappes en 1792), qui traversa par la suite successivement le Directoire, le Consulat, l’Empire, la Restauration de Louis XVIII et celle de Charles X, la Monarchie de Juillet de Louis Philippe, la révolution de 1848 avant de mourir sous le Second Empire !
Mais le film va s’attacher au début de la carrière de Vidocq. Il s’ouvre par un plan passablement étonnant qui fera sursauter les cœurs sensibles : nous sommes au large de Toulon, sur un de ces vaisseaux-bagnes. À fond de cale s’entassent, dans la crasse et la souffrance, des centaines de malheureux, qui subissent la loi tyrannique de Maillard, bagnard corrompu et vicieux, ancien bourreau de la Terreur (Denis Lavant est parfait dans le rôle). Vidocq est prisonnier à bord mais pas pour longtemps…
La clandestinité de quelques années qui s’en suit va s’interrompre quand il est repéré à Paris, accusé du meurtre d’un commerçant qu’il n’a pas commis. Pour rester libre, il va proposer un étrange marché aux policiers de la sûreté : lutter avec eux contre les tenants de la pègre, qu’il connait parfaitement alors que la police peine à les identifier et à les intercepter. Vidocq dispose pour ce travail d’enquêteur d’incontestables atouts : un sens de l’observation exceptionnel, qui lui permet de reconnaître les malfrats même grimés et même quand il ne les a vus qu’une fois, et une connaissance sans égal des réseaux. Contre toute attente, le pouvoir napoléonien, un peu aux abois face à la montée des délits dans Paris, va accepter. Inutile de vous dire que Vidocq va se faire autant d’ennemis du côté de la maison poulaga, qui ne voit pas d’un bon œil leur ancien ennemi les rejoindre, que du côté des malfrats.
Le film, haut en couleurs et bien mené, vaut autant pour sa reconstitution historique saisissante, extrêmement documentée – qui nous fait vivre le Paris chaotique et populaire du début du 19ème siècle, avant le grand ménage haussmannien –, que pour sa galerie de personnages jubilatoires servis par des comédiens excellents : Cassel et sa gueule cassée, idéal pour incarner l’ambivalence de Vidocq, James Thierrée, parfait pour jouer Le Duc, un ancien aristocrate sabreur rallié à Napoléon, la troublante Olga Kurylenko incarnant une marquise ancienne reine des prostituées, génialement manipulatrice, Patrick Chesnais formidable en fonctionnaire de la police falot ou encore Luchini, génial en Fouché (que l’on nomma le mitrailleur de Lyon pour avoir fait exécuter pendant la Révolution des insurgés lyonnais anti-jacobins), Ministre de la police froid et machiavélique… À travers le cinéma, Richet a su recréer le charme infini des grands romans populaires policiers ou historiques du xixe siècle, ceux d’Eugène Sue, Alexandre Dumas, Gustave Leroux ou Gustave Le Rouge. Et on l’en remercie.