FESTIVAL DE CANNES 2019: COMPÉTITION
Attirance réciproque
Dix ans après avoir été révélé à la Quinzaine des réalisateurs avec J’ai tué ma mère (2009), Xavier Dolan a obtenu la Queer Palm en 2012 pour Laurence Anyways. En compétition avec Mommy (2014), il a reçu le prix du jury, puis le grand prix pour Juste la fin du monde (2016). À seulement 30 ans, l’ex-petit prodige du cinéma québécois s’offre le rôle-titre de Matthias et Maxime, face à Gabriel D’Almeida Freitas, connu comme scénariste pour la série Les détestables (2011) et le programme court La boîte à malle (2012), et divers rôles pour la télévision. Ils incarnent deux amis qui éprouvent un coup de foudre réciproque inattendu sur un tournage et voient ainsi leurs certitudes affectives bouleversées par cette révélation amoureuse. Dolan a défini ce film tourné en 48 jours comme un mélange entre Tom à la ferme, “pour son côté esthétique” et Mommy, “pour son esprit et son énergie”. Matthias et Maxime est le 5e long du réalisateur avec le chef opérateur André Turpin. Celui-ci étant victime d’un mal de dos, c’est Yves Bélanger, le directeur de la photo habituel de Jean-Marc Vallée, qui assure pour sa part le cadre. Dolan a fait appel pour composer la musique au pianiste Jean-Michel Blais, dont les trois premiers albums ont été particulièrement remarqués.
Xavier Dolan est rentré au pays ! Après son film français Juste la fin du monde et l’américain Ma vie avec John F. Donovan, l’ex-jeune prodige (il vient d’avoir trente ans) revient au Québec et ça lui va très bien. On a eu peur de l’avoir définitivement perdu avec sa superproduction hollywoodienne qui l’avait emmené loin de ses repères habituels. Matthias & Maxime nous rassure tout de suite, dès la première scène menée tambour battant : une soirée entre copains où les bons mots fusent, où le montage, précis et foutraque à la fois, impulse un rythme assez nouveau dans le cinéma de Dolan. C’est aussi la première fois qu’il filme un groupe aussi soudé par l’amitié – au delà du duo ou du trio amoureux. Une bande de potes formant un nid, un rempart, réconfortant. Mais bande fragilisée par le départ imminent de Maxime en Nouvelle-Zélande pour deux ans. Durant cette soirée où on se traite de « crise de laide » ou de « déchet sale » – insultes bienveillantes malgré les apparences –, où Xavier Dolan se moque de lui-même en imitant le cinéma bavard de son compatriote Denys Arcand, Maxime et Matthias tournent une scène dans un film réalisé par l'insupportable sœur d'un de leurs potes. Une scène où ils doivent s’embrasser…Le scénario change alors soudain de direction. Changement de rythme radical : Xavier Dolan passe du film de copains échevelé à une comédie romantique plus posée. Une romcom où l’homosexualité ne serait pas un sujet en soi : qu’importe que cette histoire d’amour se déroule entre deux hommes, elle a une portée universelle. C’est assez rare et fort pour le souligner. Le baiser échangé, apparemment anodin, entraîne un trouble nouveau chez les deux garçons, surtout chez Matthias, joué de façon très pudique par Gabriel D’Almeida Freitas. Est-ce parce qu’il est marié ? Parce que Maxime est un vieil ami ? Parce c’est un garçon ? Tout ça à la fois… Maxime semble plus distant. Maxime c’est Xavier Dolan lui-même, qui revient devant la caméra. Comme si, après son film américain avec des stars (Natalie Portman, Kit Harington, Susan Sarandon), il voulait enfoncer le clou d’un retour triomphant au coeur de son cinéma très personnel. Et qu’il est touchant en jeune homme ayant pris la plus grande décision de sa vie ! Partir, laisser sa « mommy » toxique derrière lui… mais aussi tomber amoureux.
Maxime a le côté droit du visage dévoré par une tache de naissance. Comme si, dans son groupe d’amis de condition plus aisée, il était marqué par une enfance difficile qui le met un peu en retrait des autres. On devine – lors d’une scène très cruelle – qu’il s’est souvent entendu surnommé « la tache ». Au propre comme au figuré. Xavier Dolan utilise malicieusement les codes de la comédie romantique, en étirant à l’envie la réunion des deux amis/ amants. Mais il essaie surtout de nouvelles formes (des scènes vraiment comiques, d’autres filmées en accéléré, des ellipses foudroyantes), abandonne des tics devenus envahissants (plus de chanson ringarde type Céline Dion – à peine une évocation de Reggiani en arrière fond, comme un clin d’oeil…), ose même un happy end. Mais il reste fidèle à son héros : Maxime, ce garçon différent qui a du mal à contenir sa colère devant sa mère (jouée par la fidèle Anne Dorval), qui cherche son identité, est le héros tragique qui traverse tous ses films. On est heureux et très ému de le retrouver.
A. Dessuant