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Disgrâce
Paulina, deuxième film du jeune réalisateur argentin Santiago Mitre après El estudiante, s'ouvre sur une longue joute verbale. Dans le bureau de son juge de père, dont les ors dévoilent sa haute place dans la magistrature, Paulina tente d'expliquer les raisons qui la poussent à quitter sa prometteuse carrière d'avocate pour aller enseigner dans une région défavorisée. Son père désapprouve et s'énerve, la jeune femme s'entête : pour elle, les idéaux politiques ne valent rien s'ils ne sont pas incarnés, s'ils ne servent pas des causes justes pour lesquelles il est nécessaire de s'engager personnellement. Sa ténacité aura raison de son père, et les enjeux du film sont ainsi posés : là où El estudiante s'intéressait au discours politique de manière théorique, voire rhétorique, via le parcours initiatique d'un jeune étudiant d'une université de Buenos Aires, Paulina se pose la question de la mise en pratique concrète de ces idéologies.
Dès son arrivée dans la classe qui lui est assignée, Paulina se trouve confrontée à ses contradictions : elle ne parle pas le dialecte de la région, elle ignore tout des us et coutumes de ceux à qui elle doit faire cours et n'arrive pas à contenir certains de ses élèves qui ne semblent que peu intéressés par cet enseignement qui lui paraît à elle si essentiel. Mais Paulina est têtue, elle s'accroche à ses convictions et ne se laisse pas déstabiliser sans tenter de reprendre le dessus. Et malgré la désapprobation de son père et de son fiancé – qui la rejoint moins pour passer du temps avec elle que pour tenter de la raisonner –, Paulina s'ancre peu à peu dans cette région hostile, noue des amitiés, s'échine à faire accepter son rôle de professeur à des jeunes récalcitrants… Jusqu'au jour où elle est violemment agressée, et où elle reconnaît dans ses agresseurs certains de ses élèves. Ébranlée, Paulina n'en perd pas pour autant sa détermination. Le film suit alors le cheminement tortueux de la jeune femme pour réagir aux événements tout en restant en accord avec ses idéaux et sa vision de l'engagement.
Porté par une actrice fascinante – Dolores Fonzi dont le réalisateur loue « le travail mystérieux et si sensible, sans lequel le film n'aurait aucun intérêt » –, Paulina est un film profondément troublant, qui parvient à restituer la complexité de ses personnages et des situations qu'ils traversent, à en dévoiler les enjeux, et à nous faire comprendre des choix qui pourraient pourtant paraître impensables. Avant de se tourner vers la réalisation, Santiago Mitre fut scénariste, notamment des films de son compatriote Pablo Trapero (Leonera, Carancho, Elefante Blanco). Cela se ressent dans Paulina : sans jamais céder au didactisme ni au jugement, il construit avec une intelligence remarquable une histoire complexe et ambiguë. Il n'hésite pas à brouiller les pistes, à se jouer de la temporalité, à déplacer l'axe de la narration d'un personnage à l'autre pour saisir au mieux leurs motivations. Paulina use ainsi des ressorts dramatiques de la fiction pour approfondir avec brio les questionnements – amorcés par El estudiante – de la croyance idéologique, de l'engagement politique et de leur confrontation à la réalité. En un mot : brillant.