Festival de Cannes 2021 : un certain regard
Lorsque l’enfant paraît…
Au fin fond de la lande islandaise, un couple d’éleveurs de moutons se trouve confronté à un mystérieux nouveau-né qu’il décide d’adopter… à ses risques et périls. Écrit par le réalisateur Valdimar Jóhannsson avec la complicité de l’écrivain Sjón, qui avait contribué à l’écriture des chansons de Dancer in the Dark, Palme d’or et prix d’interprétation féminine à Cannes en 2000, Lamb cultive une étrangeté qui n’est pas sans évoquer celle d’un autre film scandinave révélé à Cannes : Border d’Ali Abbasi, prix Un certain regard 2018. Auteur du court métrage Harmsaga (2008), Valdimar Jóhannsson a contribué aux effets spéciaux et occupé divers postes au sein des équipes caméra et électricité de nombreuses productions hollywoodiennes tournées en Islande. Il réunit dans son premier long l’actrice suédoise Noomi Rapace, qui poursuit une carrière internationale depuis sa révélation en Lisbeth Salander dans la trilogie Millenium, et l’acteur-réalisateur Björn Hlynur Haraldsson. Lamb est une coproduction islando-suédo-polonaise, qui est vendue à l’international par New Europe Film sales.
Tudieu ! L’étrange et beau film que voilà ! Aussi malaimable que séduisant, il est une âpre chronique rurale, naturaliste, lente, mutique, élégiaque, en même temps qu’un conte mythologique flamboyant et cruel. Plus encore que d’habitude, l’idéal serait que chacun arrive devant Lamb comme nous l’avons découvert : en en sachant le moins possible, vierge de toute idée préconçue. À peine perméable à la rumeur qui, depuis sa présentation au festival de Cannes, promet un film unique et troublant, difficilement cernable, à la beauté sidérante… Pour bien faire, vous n’en liriez pas plus, vous vous laisseriez guider de confiance par une curiosité à peine inquiète. On vous préviendrait juste par une phrase du genre : « éteignez vos portables, attachez vos ceintures, voilà un film qui dépote, qui dérange et démange, qui va vous ébaubir, vous interloquer comme rarement – bref qui n’a pas fini de vous hanter ». Ou encore : « ouvrez bien vos mirettes et tout grand votre potentiel d’émerveillement, la beauté austère de l’Islande, douce, aride et lumineuse, qui sert d’écrin à cette fable magnifique et vénéneuse, n’a pas fini de vous faire rêver ». Avant de vous lâcher dans ce coin de campagne pierreuse, ceinturée par les montagnes, à mille milles de toute région habitée – ce bout du monde au milieu de nulle part où, au rythme lent des jours et des saisons, María et Ingvar élèvent leurs moutons. Peu causants par nature, pressent-on, ils se comprennent d’un geste ou d’un regard – de loin en loin, c’est à peine si le bruit d’un moteur, d’un poste de télévision ou de radio, vient troubler le silence naturel qui les entoure, habillé seulement du souffle du vent et des bêlements de leurs bêtes. Qu’ils nourrissent, soignent, mènent paître, suivant une cadence qui semble immuable. Or, dans ce bel ordonnancement pastoral, des événements étranges adviennent, à peine perceptibles, immatériels. Comme un horla, un mouvement la nuit, une intrusion possible – mais rien n’est certain – dans la bergerie. Une bête qui s’éloigne sensiblement des autres. Ou, un matin, un agnelage un peu plus difficile qu’à l’accoutumée. Et un agneau tout neuf, unique, mystérieux, à peine entrevu et nettoyé que María s’empresse d’entortiller dans un tissu pour l’emporter chez eux, dans la ferme, pour s’en occuper comme de son enfant.
Difficile d’aller plus loin. La façon dont se lève, simplement, sans effets de manche superflus, le mystère du film, fait partie de son charme inclassable. L’irruption du surnaturel ne trouble qu’à peine le quotidien de ce couple de bergers abîmés par la vie, qui l’accepte avec la reconnaissance de qui se voit offrir une seconde chance, une rédemption, un droit au bonheur dont il se pensait à jamais privé. Avec une esthétique et des effets extrêmement soignés, renonçant ostensiblement à tout sensationnalisme, le film banalise le merveilleux en le baignant dans sa douceur naturaliste – sans que, pour autant, ne cesse de flotter autour de la ferme un climat d’inquiétante étrangeté. Nourrie des contes populaires dont les créatures magiques hantent les campagnes, d’Islande comme d’ailleurs (Perrault ou les frères Grimm ne sont pas loin), la fable métaphorique de Lamb ne se révèle vraiment que dans ses tous derniers instants. On y décèle le peu de foi que le réalisateur peut avoir dans l’avenir de l’humanité, spécialement dans son rapport à la nature, fait de domination, d’hostilité et de dépendance. Au récit légendaire se mêle une symbolique chrétienne inattendue, personnifiée par l’Agneau (de dieu) – qui enlève le péché du monde…