FESTIVAL DE CANNES 2019: SÉLECTION OFFICIELLE COMPÉTITION
Vérités et mensonges
Après Victoria (2016), Sibyl marque les retrouvailles de Justine Triet avec Virginie Efira, ici dans le rôle d’une psychanalyste en mal d’écriture qui va puiser son inspiration parmi les confessions d’une de ses patientes (Adèle Exarchopoulos). Un scénario que la réalisatrice a imaginé avec Arthur Harari (Diamant noir). Selon elle, “le film est plutôt bien financé mais nous étions dans des délais de fabrication assez rapides et non flexibles à cause des agendas des acteurs, qui nous ont fait perdre plusieurs financements. Par ailleurs, on a dû couper dix jours de tournage car nous n’avons pas eu l’Avance sur recettes du CNC. Nous ne sommes même pas montés en plénière, deux fois de suite. Heureusement, Marie-Ange Luciani (Les Films de Pierre) et Jacques Audiard ont cru en Sibyl et nous ont aidés. On a pu filmer à Stromboli grâce à leur soutien, au dernier moment, juste avant le tournage”. Comme en écho au sujet de Sibyl, elle affirme : “Il y a une grosse partie de mon travail qui consiste à mentir, à rassurer tout le monde, même quand le bateau prend l’eau et que l’on n’est nous-mêmes pas rassurés. Je dois faire croire que tout va bien se passer, que je sais où je vais, même quand je suis perdue. Mais ça reste un jeu, rien n’est grave. C’est comme ça que j’imagine le métier de réalisateur.” Quand elle évoque les cinéastes de sa génération, Justine Triet avoue des affinités avec Maren Ade, Nicolas Pariser, Nadav Lapid, Benoît Forgeard, Julia Ducournau, Claire Burger, Arthur Harari, Robin Campillo, Céline Sciamma, Virgil Vernier… Quant aux œuvres qui l’ont inspirée, elle cite Love Streams de John Cassavetes, La maman et la putain de Jean Eustache, Portrait of Jason de Shirley Clarke et Juvenile Court de Frederick Wiseman. La leçon personnelle qu’elle tire de Sibyl se résume à une décision : “La seule chose que je sais c’est que je ne veux plus filmer Paris.”
Écrire l'éloge de Sybil, c'est d'abord clamer celui de Virginie Efira, absolument incroyable, irrésistible dans le rôle titre. Virginie Efira qui s'impose film après film comme une comédienne exceptionnelle dans tous les registres, que ce soit dans la pure comédie – Caprice, d'Emmanuel Mouret, Victoria, de Justine Triet déjà – ou dans une veine plus dramatique –Elle, de Paul Verhoeven, en second rôle capital, et plus encore Un amour impossible, de Catherine Corsini.
Bref la magnifique Virginie Efira constitue à elle seule une bonne raison de voir le nouveau film de Justine Triet, qui elle aussi s'impose à vitesse grand V comme une réalisatrice importante dans le cinéma français.
Sibyl est une psychanalyste qui a décidé de mettre son divan au garde-meuble pour se consacrer à la littérature. Mais il lui faut bien reconnaître que ce changement de vie est laborieux et s'accompagne d'un défilé de patients désespérés, qui vivent très mal ce qu'ils considèrent comme un abandon. Et ça se complique encore quand une jeune actrice suicidaire l'appelle au secours alors qu'elle est face à un choix cornélien : avorter ou pas de l'enfant qu'elle attend de son partenaire à l'écran, marié à la réalisatrice du film qu'elle est en train de tourner ! Et si ce n'était que ça… Sibyl a une vie de famille jamais simple, avec une sœur gentiment caractérielle et fantasque, et surtout elle ne parvient pas à tourner la page d'un amour perdu, qui lui a laissé un enfant.
Comme dans ses précédents films, Justine Triet passe du rire aux larmes, jongle avec les situations extrêmes et absurdes, entremêle les pistes et les récits, le récit réel se mêlant à celui d'un roman en cours, de quoi nous égarer pour mieux nous retrouver, usant de ses thèmes récurrents : les enfants et les responsabilités maternelles, le chaos des sentiments amoureux, l'absurdité de certains milieux professionnels comme celui du cinéma.
D'ailleurs, s'échappant dans une seconde partie des milieux urbains, le scénario nous emmène à Stromboli, la fabuleuse île éolienne volcanique à l'imaginaire si cinématographique depuis le film de Roberto Rossellini avec Ingrid Bergman. C'est sur cette île mythique que se déroule le tournage qui voit la jeune Margot se débattre entre son partenaire-amant et sa réalisatrice-rivale, tandis que Sibyl est censée soutenir psychologiquement la jeune actrice. Ce décor de carte postale à la fois merveilleusement concret et irréel est parfait pour faire exploser les sentiments les plus extrêmes.
Au cœur de ce grandiose chaos, les actrices déroulent leur talent fou, autour de la reine Virginie : Laure Calamy, qui fait une formidable sœur tourmentée, l'Allemande Sandra Hüller, (l'extraordinaire Inès de Toni Erdmann), la réalisatrice et femme trompée, qui tente de garder son professionnalisme et ne va pas vraiment y arriver, et Adèle Exarchopoulos, parfaite dans le rôle de la jeune femme en proie à un dilemme impossible.