Bayan Ko

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La femme de Tuning, ouvrier-imprimeur philippin, est enceinte et ils sont endettés. Dans cette situation, Tuning signe un engagement à ne participer à aucun mouvement social. Lorsque la grève éclate dans son entreprise, il ne s’engage pas aux côtés de ses compagnons. Aussi, le couple se retrouve seul et sans aide. C’est alors que Tuning participe à un cambriolage…

Vos commentaires et critiques :

 

Interdit aux Philippines, son pays d’origine, Bayan Ko (Mon pays) garde, sept mois après le Festival de Cannes, les vertus didactiques et roboratives qui en faisaient déjà tout le prix. C’est un Lehrstück (pièce didactique) brechtien, si l’on veut, mais s’inscrivant dans une double tradition : hollywoodienne et nationale. Hollywoodienne, car le metteur en scène, dans un entretien cité dans le dossier de presse, se réfère spécifiquement à une tradition, celle de la Warner des années 30, réussissant, derrière les conventions d’un genre, mélodrame ou thriller, à développer une critique de la société. Nationale, car il s’agit d’un pays, d’une culture et d’un moment d’histoire précis.
Au moment des grandes manifestations contre le président Marcos, un jeune ouvrier, Turing (Phillip Salvador), employé par un imprimeur, refuse de participer à la grève aux côtés de ses camarades de travail : sa femme attend un enfant, il doit économiser pour lui assurer les soins nécessaires. Aucun système d’assurance sociale n’existe. Le patron, compréhensif, lui explique qu’il a déjà épuisé en avances son salaire du mois. Luz, sa femme (Gina Alajar), a une hémorragie et accouche prématurément d’un bébé qui doit être mis en couveuse. La santé de l’enfant et de la mère s’améliore. Turing est prêt à les ramener à la maison.
Le drame se noue à cet instant précis, et le mélodrame concomitant. Le directeur de l’hôpital fait comprendre à Turing qu’il doit payer les soins reçus par les siens avant qu’ils puissent sortir. Turing monte alors un coup avec des voleurs pour dévaliser son patron. L’affaire se corse, la police intervient. Le doux Turing, qui refuse la violence – Lino Brocka a lu et relu la Bonne Ame de Sé-Tchouan, a n’en pas douter, – abat in fine, fou de rage, son ancien patron.
Raconté sommairement, Bayan Ko ressemble à une caricature de drame social. Le film ne cherche pas à mettre son spectateur au garde-à-vous devant la révolte, ou la révolution, inévitable. Il s’adresse à un large public, le public des Philippines, mais, comme la Warner bon cru, il glisse son message dans le feu de l’action. Bayan Ko est remarquablement joué, photographié, monté. Artisan plus qu’artiste, selon sa propre définition, Lino Brocka avoue tourner jusqu’à cinq films par an, en quatrième vitesse. Il reste peut-être le dernier spécimen ou, mieux, l’ultime preuve que le métier naît d’une longue pratique et ne s’invente pas. Il faut voir Bayan Ko sans hésiter.

Louis Marcorelles – Le Monde 1984