Un pigeon perché sur une branche philosophait sur l'existence -12

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Tel un Don Quichotte et un Sancho Panza des temps modernes, Sam et Jonathan, deux représentants de commerce, colporteurs de farces et attrapes, nous entraînent dans une errance kaléidoscopique à travers les destinées humaines. Un voyage qui nous montre la beauté des moments de solitude, la mesquinerie des autres, l'humour et la tragédie qui sont en nous, la splendeur de la vie tout comme la fragilité de l'humanité.

Vos commentaires et critiques :

"J'ai des dents de vampire, je vous les fais à moitié prix."

 C'est le nouveau film, toujours aussi fascinant, du réalisateur suédois Roy Andersson (Chansons du deuxième étage, Nous les vivants)  à vrai dire le dernier de sa TRILOGIE DES VIVANTS et il pourrait être vu comme la rencontre improbable entre le burlesque de Laurel et Hardy (un duo de personnages très pince-sans-rire sert de fil rouge au récit), le tragique absurde à la Beckett et une recherche picturale qui associerait pêle-mêle Bruegel, l'expressionnisme allemand d'Otto Dix ou Georg Scholz et la géniale rigueur de composition d'un Edward Hopper…

Vous l'aurez compris, Un pigeon perché sur une branche… (titre énigmatique autant qu'intrigant) ne ressemble à rien de connu… sinon aux opus précédents de Roy Andersson, et se classe sans contestation parmi les entreprises les plus originales et les plus surprenantes que puisse nous offrir le cinéma mondial. Le film se présente comme une succession de saynètes statiques, composées et cadrées avec une précision diabolique doublée d'une invention ébouriffante. La première scène, qui montre des individus blafards visitant un musée où des animaux empaillés sont exposés dans des cages de verre, installe d'emblée un climat de poésie absurde et drolatique. Et toutes les séquences suivantes seront du même acabit, pour notre plus grand plaisir.

Comme dit plus haut, deux personnages portent le récit : deux vendeurs d'articles de farces et attrapes, à la dégaine et aux visages tristes comme un jour sans pain, qui déballent partout où ils passent, sans aucune conviction ni talent de vendeurs, leurs dents de vampires XXL ou le masque en latex de « Pépé l'édenté », laissant leurs clients potentiels plus que dubitatifs : de marbre.

L'autre fil conducteur est une phrase que plusieurs personnages répètent à l'envi à un interlocuteur au téléphone : « je suis heureux que vous alliez mieux ». Mais là encore, aucune conviction, décalage absolu entre les mots de réconfort et l'allure sinistre, le ton absent de celui ou celle qui les prononce mécaniquement : l'un des locuteurs, après avoir ânonné sa phrase d'une voix blanche, se tire d'ailleurs une balle dans la tête… Rire d'outre-tombe garanti !

Car Un pigeon perché sur une branche… est une réflexion aussi cruelle que miséricordieuse sur l'indifférence qui envahit nos vies. Sur un ferry, un homme vient de mourir, frappé d'une crise cardiaque après avoir fait la queue à la cafeteria, et la seule question que pose la caissière est : « que va t-on faire du contenu de son plateau, puisqu'il a été payé ? ». Le verre de bière sera vite attribué à un volontaire… Mais le film est aussi une charge sauvage contre l'autorité. Une scène surréaliste, se jouant de l'anachronisme, présente le roi mythique Charles XII de Suède, héros malheureux de la bataille de Poltova contre les troupes de Pierre 1er de Russie, rentrer à cheval, l'air martial, dans la brasserie du coin… Un autre tableau montre un groupe de richissimes vieillards assister impavides au supplice d'esclaves noirs introduits dans un énorme cylindre en cuivre qui tourne comme une machine à musique…

Finalement ce sont bien nos deux compères colporteurs, ces parias vivant dans un asile de nuit, aussi pathétiques soient-ils, qui apparaissent comme les derniers tenants de ce qui nous reste d'humanité, avec leur amitié indéfectible ponctuée de chamailleries dérisoires. C'est saisissant tellement c'est beau, tellement c'est tragique, tellement c'est drôle… C'est du Roy Andersson.