“Quand je pleure pour un homme, je préfère le faire dans jet privé plutôt quand dans un bus”, dit la voix de narratrice de la journaliste de télévision Virginia Vallejo (Penelope Cruz) dans le dernier film en date, sur tant d’autres, à propos du caïd de la drogue Pablo Escobar. Il serait tout aussi snob de dire, quand on pleure à cause d’un film, que c’est tellement mieux de le faire à la Mostra de Venise que dans un multiplexe de province. Loving Pablo, adapté des mémoires de Vallejo, Loving Pablo, Hating Escobar, de Fernando León de Aranoa, a été projeté hors compétition sur le Lido, avec Javier Bardem dans le rôle d’Escobar. L’acteur a clairement pris beaucoup de poids pour incarner le criminel colombien, et de fait, il semble déterminé à montrer sa panse dès que l’occasion s’en présente. Le père de la prise de poids d’acteur étant bien sûr Robert De Niro, un hommage est rendu dans le film à la star de Raging Bull, quand Escobar sort sa tête de l’eau, ce qui renvoie directement aux Nerfs à vif. Il faut reconnaître que c’est toute cette graisse qui va nous offrir le meilleur moment du film : quand Escobar court nu parmi les arbres, pour échapper à la police, il y a un plan prolongé sur son derrière qui tremble de haut en bas tandis qu’il slalome entre les arbres, ce qui est vraiment quelque chose à voir. Mais toute la graisse du monde ne saurait enrober assez la décision étrange de raconter cette histoire en “espanglais”. Même les scènes entre le couple du film, jouée par le couple marié dans la vie Cruz-Bardem, passent de l’espagnol à l’anglais de manière incohérente, sans doute par le fait d’une stratégie mal calculée, probablement destinée à plaire au marché international. Par contraste, Cruz est évanescente dans le rôle de la maîtresse, exagérant le côté star de la télé de son personnage. Certes, le fait que le couple que les acteurs forment à l’écran soit mal assorti sert bien l’intrigue, qui insiste beaucoup sur l’idée que Vallejo est une icône de la mode qui voit un peu Escobar comme un rustre, malgré son compte en banque lui aussi très gras. La narration de l’ancienne amante, trop exhaustive en termes d’exposition des faits, explique aussi que de son côté, aussi bien coiffée ou bien vêtue qu’elle puisse être, Escobar semblait incapable de jamais abandonner femme et enfants pour elle. Hélas, comme il colle trop au point de vue de Vallejo, le film rechigne à passer le temps qu’il faudrait à vraiment explorer cette relation amoureuse. L’autre grand problème est que, comme on s’en rend vite compte, les auteurs sont beaucoup plus intéressés par Escobar que Vallejo, de sorte que bien qu’on adopte, soi-disant, sa perspective à elle, le film contient de nombreuses scènes avec Escobar dont Vallejo n’aurait jamais été rendue témoin.
En termes d’enchaînement des séquences narratives, Loving Pablo suit le schéma standard de tout film-sur-Escobar qui se respecte – et de nouveau, on refait le circuit et on voit le politicien, l’homme du peuple, le criminel brutal, le prisonnier, et enfin le type en cavale, avant qu’il ne soit abattu par la police. On en apprend moins sur Vallejo, bien que son histoire soit ici la plus intéressante – notamment son amitié avec le procureur général américain Agent Shepard et son combat pour échapper à l’étiquette de maîtresse d’Escobar. Dommage, donc, que son parcours soit relégué au statut de spectacle d’accompagnement de la vie d’Escobar.