Surfin' USA, I Get Around, Dance Dance Dance, California Girls, Barbara Ann, Good Vibrations… Tout le monde ou presque a un tube des Beach Boys qui lui colle encore au cœur et au corps comme dirait l'autre. Rappelons en quelques mots les débuts de ce groupe légendaire constitué en 1961. Composé des frères Wilson – Brian, Carl et Dennis – de leur cousin Mike Love et d'un ami de Brian, Al Jardine, il s'agit quasiment d'une affaire de famille. Après seulement quatre ans d'existence, les Beach Boys sont au sommet de leur gloire. Déjà dix albums au compteur, tous des succès grâce aux compositions accrocheuses de Brian qui participent à la construction d'une Californie mythique, solaire, surfeuse et hédoniste. S'il existe un seul groupe américain capable de résister à la vague british qui déferle sur le monde, c'est celui-ci. Normal, me direz-vous, quand on s'appelle les garçons de la plage et que l'on a fait du surf sa spécialité.
Mais en décembre 1965, les Beatles passent la vitesse supérieure. Jusqu'à présent, un 33 tours était simplement l'addition en un seul album des derniers 45 tours sortis par un groupe. Le dernier né des Beatles, Rubber Soul, fait l'effet d'une bombe avec ses quatorze morceaux écrits spécialement pour l'occasion. Brian, bluffé, décide de relever le gant. Il ne participera pas à la tournée du groupe au Japon pour composer et travailler avec les meilleurs musiciens de studio du moment. Le résultat sera Pet Sounds, que Paul Mac Cartney qualifiera de « plus grand album de tous les temps » et reconnaîtra plus tard comme source d'inspiration de Sergent Peppers Lonely Hearts Club Band. Mais le public américain, surpris par la complexité de la musique et par des paroles ciselées et poétiques, sera déconcerté, à l'instar d'ailleurs du reste du groupe. Ce semi-échec touche de plein fouet Brian Wilson qui entrera rapidement dans la spirale infernale de la toxicomanie et de la dépression, deviendra obèse et passera même trois années couché dans son lit.
Bill Pohlad et ses scénaristes ont choisi de ne pas faire de Love & Mercy le biopic d'un groupe. Ils nous proposent, et c'est beaucoup plus intéressant, une approche intime de son compositeur, producteur et pierre angulaire Brian Wilson, à deux étapes de sa vie : dans les années 60, la naissance d'un musicien de génie et dans les années 80, le difficile retour à la vie d'un homme brisé. Deux obstacles se dressaient devant le réalisateur. Le premier tenait à la difficulté de trouver un acteur capable d'interpréter le même personnage à vingt ans d'écart. Le second, plus important, consistait à appréhender les moments de création musicale. Bill Pohlad les franchira avec brio grâce à deux hommes-clés.
D'abord le scénariste Oren Moverman, avec qui il décide d'engager deux acteurs différents. Leur choix est idéal : Paul Dano interprètera le jeune prodige et John Cusack l'homme mûr qui tente de reprendre pied – rappelons qu'Oren Moverman était le scénariste du formidable film de Todd Haynes sur Bob Dylan, I'm not there. Ensuite le musicien Atticus Ross, auteur de la bande son du film, qui, loin de se contenter de faire entendre des morceaux des Beach Boys, parvient à restituer le travail en studio de Brian Wilson. Si l'on ajoute la qualité des reconstitutions d'époque et les performances d'Elisabeth Banks dans le rôle d'une vendeuse de Cadillacs et surtout de Paul Giamatti dans celui du docteur Landy, inquiétant psychiatre qui maintient Brian dans un carcan chimique, on arrive à la conclusion imparable que ce Love & Mercy fait naître de sacrément bonnes vibrations.