Un film ne peut évidemment pas suffire pour faire le tour de cette emblématique figure dont l’envergure et l’étoffe sont dignes des plus grands héros de fiction. La gouaille, le panache, le verbe mais aussi et surtout le sens du devoir autant que celui, comme inné, de l’histoire : Winston George Churchill est un monument à lui tout seul. Comme un film tout entier ne saurait suffire pour embrasser son légendaire embonpoint et encore moins sa longue et passionnante existence, Jonathan Teplitzky et son scénariste ont donc eu la bonne idée de ne surtout pas chercher à faire le tour de la question, impossible aventure, mais plutôt de tenter d’en restituer une parcelle de la complexité, d’en saisir un peu de l’esprit, d’en cerner les contours. Le projet est captivant car il nous éclaire sur un destin hors du commun en le cueillant à un moment tout particulier où le basculement de l’histoire va de pair avec les fêlures les plus intimes.
C’est donc bel et bien une parenthèse temporelle que privilégie le film, minuscule si on la rapporte aux 60 années de la carrière militaire et politique du vieux lion. Une parenthèse décisive pour l’histoire, qui commence quelques jours avant le 6 Juin 1944 et s’achève à peine quelques jours après. On pourrait être frustré de ce condensé historique, on est au contraire comblé, parce que l’intensité est au rendez-vous, parce que l’instant, historique puisqu’il s’agit de l’opération Overlord, est vécue en coulisses et que la force de l’instant se passe de tous les artifices de mise en scène. Nous sommes dans un dispositif qui s’approche plus du théâtre que de la spectaculaire reconstitution historique : il en a l’intelligence et la puissance narrative.
Sans jamais verser dans le grandiloquent, cette bio singulière mise sur le charisme, l’ambivalence et la prestance de son sujet, privilégiant dialogues et joutes oratoires entre les différents protagonistes. Cela donne lieu à quelques scènes virtuoses, souvent graves, parfois drôle ou bouleversantes, où l’éloquence de Churchill, tyran porté sur la bouteille autant que sur le verbe, et de ses interlocuteurs (Le roi Georges VI, sa femme Clem ou les généraux alliés) nous laissent à voir l’homme inspiré et complexe qu’il était.
Face à la mer, Churchill affronte ses démons. Bien des années après, il porte encore sur ses épaules le poids de la catastrophe de Gallipoli quand, alors premier Lord de L’Amirauté Britannique, il envoya à la mort des milliers de soldats britanniques et alliés. Le souvenir des cadavres flottant sur l’écume lui revient violemment en mémoire en ce mois de Juin 1944 à l’heure où les préparatifs du débarquement sur les côtes normandes se précisent… Churchill craint désormais que le jour J ne se transforme en une nouvelle bataille des Dardanelles et va tout faire pour convaincre Eisenhower, Montgomery et le Haut Commandement Allié de changer le plan du D day.
Mais l’histoire est en marche, Churchill n’est déjà plus le lion rugissant qu’il était et doit faire face au doute, à la vieillesse qui le rattrape mais, surtout, au déclin de son propre pouvoir, de sa capacité à diriger le pays. Le grand homme n'est-il plus que l'ombre de lui-même ou parviendra-t-il une fois encore à rebondir ? Nous connaissons la suite, mais lui, en cet instant magique de la fiction, pas encore…