Sept ans après le Prix du Jury reçu à Un Certain Regard pour Tokyo Sonata, Kiyoshi Kurosawa fait son retour en Sélection officielle avec une réflexion spirituelle sur la mort. Kishibe no tabi (Vers l’Autre Rive) est l’adaptation étroite d’une nouvelle fantastique de Kazumi Yumoto. Parcourant les villages qui lui sont familiers, rencontrant celles et ceux qu’il a un jour croisé, Yusuke (Tadanobu Asano) attend son heure au bras de Muzuki (Eri Fukatsu), celle qu’il a tant aimé. Cet ultime voyage, auquel il a convié sa bien-aimée, est un prélude à son départ définitif vers l’au-delà. Car voici trois ans, Yusuke a péri tragiquement au fond de l’océan. Pourquoi est-il revenu d’entre les morts ?
Réalisateur prolifique élevé au super 8, passé également par la série B, les téléfilms et les séries, Kiyoshi Kurosawa est l’auteur de la superbe mini-série Shokuzai (2012). Dans Kishibe no tabi, son 19e long métrage, il s’aventure sur les sentiers du mélodrame et pose la question universelle de la vie après la mort et du corps comme « socle de l’esprit ». « Il m’a toujours semblé hâtif de penser que la mort emportait l’un et l’autre simultanément », souligne celui qui enseigne toujours à l’école de cinéma de Tokyo.
Le cinéaste a bâti la trame du film en épousant au plus près l’intrigue de l’œuvre originale de Kazumi Yumoto, avec laquelle il a échangé à de nombreuses reprises durant l’écriture du long métrage. C’est ainsi que pour coller à la nouvelle de Yomoto, le réalisateur a comme elle « étiré le temps et l’espace » du récit et imagé au travers de cette histoire de couple le moment intime et douloureux de l’accompagnement d’une personne mourante vers la mort. « J’ai souhaité dépeindre [ce fait] de façon différente à travers une histoire d’amour », explique-t-il.
Histoire d’amour en forme de road movie adaptée d’un roman de Kazumi Yumoto, Vers l’autre rive délaisse le fantastique pur pour le mélodrame, avec un ton plus apaisé que d’habitude de la part de Kurosawa. Le cinéaste raconte comment les liens amoureux entre une femme et son mari perdurent au-delà de la vie, dans des espaces qui délaissent l’architecture urbaine au profit de paysages bucoliques. C’est une véritable géographie intime et mentale, à l’échelle d’un pays insulaire et brumeux, que le cinéaste perce à jour. La réduction d’une vie et d’une relation conjugale au temps d’un voyage, avec ses ralentissements, accélérations et retours en arrière permet d’évoquer, sur un autre registre, Voyage à deux de Stanley Donen. Là aussi l’apparent classicisme de la mise en scène de Kurosawa, majestueuse et tranquille, dissimule une sismographie émotionnelle dont on ressort bouleversé.