Impossible de parler de Phantom Thread (littéralement « fil fantôme ») sans évoquer le travail remarquable du costumier Mark Bridges. Ses costumes étoffent admirablement le récit, ajoutent la réalité charnelle de la matière, l'évidence du détail au panache des acteurs, à la richesse de l’intrigue, à la classe de la mise en scène magistrale orchestrée par Paul Thomas Anderson.
Tant Daniel Day-Lewis en couturier génial et torturé que Lesley Manville dans le rôle de sa sœur implacable et dévouée et que Vicky Krieps dans celui de l'amoureuse éperdue et follement déterminée portent subtilement le scénario et font de ce film une œuvre singulière, de haute volée. Un film classique de prime abord, qui s’installe lentement, se déguste à petites gorgées, pour se révéler finalement plus vénéneux qu’il n’y parait.
Tout se passe en Angleterre, dans le Londres des fifties. Jeunes ou vieilles, laides ou belles, les femmes de la haute bourgeoisie, celles de la noblesse, celles qui en ont les moyens s’arrachent à prix d’or les robes composées sur mesure par le très convoité Reynolds Woodcock, créateur monomaniaque parvenu au firmament de son art. Dès potron minet, les petites mains minutieuses de son atelier sont à pied d’œuvre, aux aguets, à l’affut des moindres volontés de leur patron intransigeant. C’est toute une mécanique bien huilée qui se remet en marche chaque matin. Une maisonnée qui ne respire que par cet homme insatiable, éternel insatisfait. Ici pas un fil ne dépasse, ni un poil de son nez, ni un cheveu de sa maîtresse du moment. Sa vie est brodée à l’instar de ses robes, ne laissant aucune place à l’imperfection. Même le temps semble dompté par des rituels quotidiens incontournables. Tout est maîtrise. Tout ne doit être qu’excellence.
Derrière le couturier se protège un homme dont la passion le nourrit autant qu’elle le consume. Dès qu’il revient dans l’intimité de son antre, cet être porté aux nues par le microcosme mondain se transforme en tyran aussi irascible que fragile, hanté par des démons invisibles, qui fait régulièrement le vide autour de lui, qui sème les amourettes déjà mortes avant même d’avoir pu exister. Seule sa sœur Cyril résiste stoïquement à tout, pardonnant tout, anticipant chacun des mots, chacune des attentes de son frère. Ils forment une sorte de couple fusionnel, à l'atelier comme à la ville, qui laisse bien peu d'espace à une autre, aussi remarquable, aussi forte, aussi amoureuse soit-elle. D’ailleurs l’histoire débute par une rupture aussi inélégante que lapidaire : l’éconduite partira sans un mot d’explication, Cyril faisant le sale boulot à la place de son frangin qu’elle envoie aussi sec se ressourcer à la campagne en attendant que la tempête soit passée. C’est là que Reynolds croise le regard d’Alma. Jeune serveuse maladroite, demoiselle un peu gauche mais d’une candeur radieuse qui détonne avec les manigances des dames engoncées de la capitale. Coup de foudre réciproque, complicité immédiate. Voilà la fille de peu propulsée dans un monde qui lui est inconnu, entre fines dentelles, pures soieries, soirées mondaines… Vite elle y prend goût tandis que Reynolds se remet d’arrache pied à son œuvre. Alma devient sa muse, sa plus belle source d’inspiration. Mais tandis que Reynolds l’habille et la couvre de compliments, l’éternelle Cyril guette les signes de la descente aux enfers, s’apprêtant à éjecter sans ménagement cette nouvelle intruse dont son frère se lassera vite, fatalement… Mais rien ne se passera exactement comme on s’y attendrait…
Subrepticement le récit se tend comme un arc prêt à décocher ses flèches impitoyables. On finit comme Cyril par essayer de tout comprendre à quart de mot. Tout se passe dans les regards, dans les silences, dans d’infimes détails criants. On se prend à aimer profondément ces personnages, à percevoir les fils ténus qui tissent progressivement une toile aussi somptueuse que dangereuse.