Django, dont on n'a plus besoin de dire le nom. Unique, inimitable, Django le manouche, génie de la gratte, figure incontournable de l’histoire du jazz à qui il apporta sa patte, son swing, son style, mais surtout son âme : l’âme manouche. L’âme manouche, cela pourrait être le sous-titre de ce biopic qui n’en est pas tout à fait un et qui – comme récemment Neruda et Jackie de Pablo Larraín – ne s’attache qu’à une période précise et déterminante du parcours de son protagoniste : on gagne en intensité ce qu'on perd en années… Resserré sur quelques mois, les plus sombres sans doute de la trop courte existence de Django Reinhardt (il est mort à 43 ans), le film se déroule sous l’occupation, quand Paris, étouffé par la botte nazie, tente de respirer dans les bals clandestins les derniers parfums d’une liberté confisquée.
1943. Django, au sommet de son art, reconnu, adulé, fait swinguer le tout Paris aux Folies Bergères avec son quintet. Comme bon nombre d’artistes français de cette époque, on joue devant un parterre composé en partie d’officiers allemands, sans trop se soucier du chaos lointain, ni de ce qui se trame aux quatre coins de l’Europe. Django a sa guitare, sa famille, sa canne à pêche, son public et une certaine immunité acquise par sa célébrité et son talent… Cette guerre, c’est celle des gadjos, certainement pas la sienne.
Mais l’Allemagne en veut toujours plus et l'agent du guitariste négocie avec l'occupant une magistrale tournée qui le mènerait à Berlin, orchestrée par la propagande nazie, pour le bon plaisir des hauts officiers du Reich, avec, aux premiers rangs Gœbbels et peut-être même Hitler. Flairant le danger, Django décide alors de fuir en zone libre, aidé par la belle et mystérieuse Louise De Klerk, une vieille connaissance, amatrice éclairée de jazz, reine des nuits parisiennes, admiratrice fidèle, et peut-être encore plein d’autres choses plus ou moins secrètes, plus ou moins avouables…
À Thonon-les-Bains, il va attendre plusieurs semaines le moment propice pour un passage en Suisse. Entouré de sa famille proche – sa femme enceinte, sa mère qui est aussi sa costumière et son meilleur impresario, son frère qui l’accompagne sur scène – mais aussi de sa famille de cœur et d’histoire – les habitants d'un camp tzigane rencontrés sur place – Django va découvrir la terrible réalité de son temps.
Avec ce qu’il faut de fiction et d’entorses bienveillantes à la réalité, Django nous offre le portrait admiratif – mais pas toujours aimable – d’un musicien hors norme qui va voir sa vie et son art bouleversés au contact de l’horreur en marche. Si les scènes de concerts sont remarquablement filmées et rendent toute l’énergie vitale de ce jazz manouche, la manière dense et pudique dont le film traite de l’oppression puis de l’extermination du peuple tzigane est particulièrement émouvante.
À travers ce personnage mythique interprété par Reda Kateb avec le talent, la grâce, la gouaille dandy qu'on lui connaît, Django interroge la place de l’artiste et de l’art dans ces moments terribles de l’histoire où la poésie et la liberté sont elles aussi pourchassées, parquées, exécutées. Si le film s’ouvre sur le roi du swing parisien, il évolue peu à peu vers quelque chose de plus mélancolique et se referme sur le « Requiem pour mes frères tziganes » pour orgue, orchestre et chœur. Jouée une seule fois à la Libération, cette messe funèbre dont la partition est aujourd'hui perdue fut dédiée par Django à tous les Tziganes massacrés pendant la Seconde Guerre mondiale.